L’insuffisance rénale : une menace silencieuse

Silencieuse, mais redoutable, l’insuffisance rénale est l’une des maladies chroniques les plus dangereuses. Elle progresse souvent sans faire de bruit, ses symptômes passant facilement inaperçus ou étant confondus avec ceux d’autres troubles. Parfois, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Pierre Chrétien se sentait en pleine forme lorsque son médecin l’a appelé au travail pour lui annoncer les résultats d’une prise de sang de routine. « Je le connais bien. D’habitude, on se faisait des jokes, mais là… c’était sérieux. Il m’a dit : “Va tout de suite à l’hôpital à Trois-Rivières, ils t’attendent.” Tout s’est mis à tourner dans ma tête. »

À l’urgence, Pierre subit un examen, enchaîne les tests et rencontre une néphrologue. C’est à ce moment qu’il apprend qu’il souffre d’une insuffisance rénale terminale. « J’étais comme une bombe ambulante! J’aurais pu faire un accident vasculaire cérébral (AVC) à tout moment. »

Son état est alors si grave qu’il n’y a plus rien à faire pour ralentir la détérioration de ses reins. Ce sera l’hémodialyse d’abord, puis, si possible, une greffe. Sans avertissement, le monde de Pierre vient de basculer.

Une maladie discrète

Mesurant environ 12 cm, les reins sont deux petits organes situés de part et d’autre de la colonne vertébrale. Leur rôle? Filtrer les déchets et l’excès de liquide présents dans le sang. Lorsque leur fonctionnement s’altère, les impuretés s’accumulent dans le corps.

« L’insuffisance rénale est pernicieuse, car au moment où l’on commence à ressentir des symptômes, il est parfois déjà trop tard, explique le Dr Olivier Diec, médecin spécialiste des maladies du rein à l’Hôpital Charles-LeMoyne, en Montérégie. Les signes apparaissent souvent lorsque la fonction rénale est descendue à 15 ou 20 %. »

Et les manifestations de la maladie sont si peu spécifiques qu’elles passent facilement inaperçues.

« Dans les stades avancés, par exemple, on observe de la fatigue, une perte d’appétit, une perte de poids, des démangeaisons, énumère le Dr Diec. Mais ces symptômes peuvent être confondus avec bien d’autres affections : des troubles thyroïdiens, une dépression, un virus. »

Conséquence : de nombreuses personnes apprennent qu’elles souffrent d’une déficience alors que leur fonction rénale est déjà gravement altérée.

C’est ce qui est arrivé à Suzanne De Serres. Au début de la cinquantaine, lors d’un simple suivi médical, son médecin a détecté une tension artérielle trop élevée, ce qui a mené à des analyses plus poussées. Celles-ci ont révélé que sa fonction rénale globale n’était plus qu’à environ 20 %. « Ce fut un choc, se rappelle la Montréalaise. J’étais sportive, je mangeais bien… » Son insuffisance rénale avancée avait été causée par une bactérie qui avait attaqué son rein gauche. Son médecin lui a prescrit un traitement pour tenter de ralentir la dégradation, ce qui a fonctionné pendant un certain temps. Mais quelques années plus tard, il n’y avait plus rien à faire : elle allait devoir recevoir une greffe.

Dépister tôt pour agir tôt

Il est estimé que la maladie rénale deviendra la cinquième cause de décès dans le monde d’ici 2040. Et les cas sont en hausse, notamment en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation de la prévalence du diabète et de l’hypertension.

« Mais lorsqu’on dépiste tôt, on peut agir tôt et changer la trajectoire de la maladie, explique le Dr Diec. Aujourd’hui, on dispose de médicaments ciblés qui peuvent vraiment ralentir son évolution. »

« Ce qu’il faut, c’est éduquer les patients pour les inciter à consulter leur médecin de temps à autre, à faire des bilans de base, à se familiariser avec des notions comme la créatinine, le taux de filtration glomérulaire ou la présence de protéines dans les urines, poursuit le spécialiste. J’encourage donc les gens à s’informer, à utiliser les bons outils, à poser les bonnes questions. »

En détectant le problème relativement tôt, Suzanne De Serres a pu recevoir les traitements nécessaires pour vivre plusieurs années sans hémodialyse, ce qui lui a permis de préserver sa qualité de vie.

Pierre Chrétien n’a pas eu cette chance. En raison de la maladie qui a attaqué ses reins, il ne pouvait pas recevoir de greffon. Pendant sept ans, il a donc dû subir des séances de dialyse de quatre heures, trois fois par semaine. « Ce n’était pas facile, mais je voulais montrer à mes deux enfants que, même malade, on peut faire quelque chose de sa vie. Je me suis accroché à ça. »

Heureusement, un traitement de chimiothérapie lui a permis de devenir un candidat viable à la greffe, qui a été réalisée le 2 février 2022. Plus de trois ans plus tard, son nouveau rein « fonctionne comme une F1 ».

« En 2014, j’avais fait une prise de sang, et tout était beau. Un an plus tard, même prise de sang, et paf. En étant asymptomatique, on ne voit pas ce qui peut nous arriver. J’ai été extrêmement chanceux que ça ne m’ait pas pété en pleine face », dit-il, philosophe.

Tout va bien aussi pour Suzanne De Serre, qui dit se sentir « comme une femme de 20 ans ». Dix ans après son diagnostic, la sexagénaire insiste : « Il est essentiel de détecter les problèmes le plus tôt possible. Il faut en parler à son médecin et demander de passer les tests appropriés. »

La Fondation canadienne du rein propose un test en ligne de 10 questions pour vous aider à déterminer si vous devriez en discuter avec votre médecin. Il permet aussi de prendre conscience des facteurs de risque et des objectifs à se fixer pour prendre soin de ses reins. etesvousarisque.ca

Lexique

Voici quelques termes clés liés à la santé des reins.

Taux de créatinine sérique
Analyse sanguine qui mesure la créatinine, un déchet produit par les muscles. Son taux augmente à mesure que la fonction rénale diminue.

DFG (débit de filtration glomérulaire)
Indique la capacité de filtration des reins. Il peut être évalué précisément au moyen d’analyses poussées ou estimé à partir de données simples (DFG estimatif).

Protéinurie
Présence anormale de protéines dans les urines, souvent détectée à l’aide d’une bandelette. Cela signale des dommages aux filtres rénaux, qui ne devraient normalement pas laisser passer ces protéines.

Hypertension
Deuxième cause d’insuffisance rénale terminale au Canada. Elle est liée à environ 12 % des cas. L’hypertension constitue un facteur de risque majeur.

Hémodialyse
Traitement pour les cas avancés : le sang est filtré dans un dialyseur pour éliminer l’excès d’eau et les déchets.

Source : rein.ca