
Après avoir exercé pendant quatre décennies en tant que psychologue clinicienne, Rose‑Marie Charest est plus convaincue que jamais que chaque personne a toujours plus de raisons d’être heureuse que malheureuse, et ce, malgré les échecs, les obstacles, les peines et les embrouilles. Virage s’est entretenue avec elle pour discuter de son plus récent livre, Ce que j’ai appris de vous…, dans lequel elle nous propose des pistes de réflexion pour nous aider à agir dès aujourd’hui, pour vivre un peu plus de bonheur demain.
1- M’approprier mon histoire
Pour une personne plus âgée, s’approprier son histoire, c’est apprendre à apprécier sa vie pour ce qu’elle a d’unique. C’est cesser de combattre ce qu’on a vécu, de ruminer, de se dire : « ça aurait dû être autrement. J’aurais dû faire ça. Les autres auraient dû me traiter de telle manière. » C’est s’appuyer sur la somme de ses expériences pour faire ses choix actuels, le plus librement possible, plutôt que de constamment chercher à réparer une pensée ou à combattre le passé. On n’a pas nécessairement mené la vie qu’on aurait souhaitée, il y a eu des souffrances et des manques, mais il faut reconnaître qu’on a été capable d’aimer, d’entretenir des amitiés, de travailler… Si on est rendu à cet âge-là, c’est qu’on a été capable de faire plein de choses.
2- Nourrir mes relations interpersonnelles
Plus tard dans la vie, au moment de faire leur bilan, les gens se demandent souvent : « Est-ce que j’ai réussi professionnellement? Est-ce que mes enfants ont réussi? » On oublie de regarder les liens qu’on a créés tout au long de notre vie. En fait, la qualité de nos relations interpersonnelles est le principal facteur responsable du bonheur, comme le démontre l’étude longitudinale menée par Harvard sur 80 ans. La qualité de nos relations, c’est une chose qui continue d’être importante, quel que soit l’âge. Il n’y a pas longtemps, j’ai donné une conférence avec la FADOQ. Après, lors du café, j’ai dit aux gens : « Le plus important que vous avez à faire aujourd’hui, ce n’est pas de m’écouter, c’est de jaser ensemble… » C’est essentiel de garder des contacts, peu importe le moyen, même par textos.
Les relations interpersonnelles, c’est à la fois ce qu’il y a de plus riche et de plus exigeant. Donc, comme c’est plus exigeant, c’est tentant de rester en solo chez soi, de s’isoler graduellement, surtout lorsqu’on n’a plus à sortir pour aller travailler ou rencontrer des gens. La solitude choisie est une richesse, mais s’isoler, ne plus se stimuler sur le plan humain, c’est quelque chose qui apportera nécessairement un sentiment de vide, une tristesse, une baisse d’énergie. Et ça, on veut l’éviter.
3- Puiser dans mes souvenirs pour vivre mes deuils
Des deuils, on en fait toute notre vie, mais on en fait plus quand on vieillit. Il y a le deuil primaire, soit celui des personnes décédées qu’on aimait, le deuil de nos propres capacités qui diminuent avec le temps, le deuil des activités qu’on pouvait faire et qu’on ne peut plus faire… Il y a aussi le deuil des relations qui se transforment. Nos enfants avaient absolument besoin de nous, puis c’est nous qui pouvons maintenant avoir besoin d’eux. Et entre les deux, on s’inquiète de perdre le lien qui nous unissait.
La capacité de faire un deuil, elle réside dans notre aptitude à intégrer nos souvenirs, à se laisser habiter par eux. Moi, quand mon conjoint est décédé, des gens m’ont dit : « Ça ne te tente pas de déménager, de faire du neuf? » J’ai répondu : « Non, pas pour le moment. » En tout cas, ça fait sept ans, et c’est encore le cas. Le fait de voir ce fauteuil dans lequel il s’assoyait, ça me le rend présent, et je suis en harmonie avec son absence, dans la mesure où il peut être présent à l’intérieur de moi.
4- Me définir… autrement
Ce qui me frappe le plus, c’est la difficulté d’adaptation quand on perd une partie de nous-mêmes sur laquelle on comptait et pour laquelle on a beaucoup investi. Par exemple, la beauté, l’habileté dans le sport ou la performance professionnelle. Ce n’est pas juste la peine de ne plus pouvoir pratiquer son sport, c’est comme si l’estime de soi était directement atteinte. J’imagine que, si je ne pouvais plus parler, ce qui a été le cœur de ma vie, je vivrais ça ainsi. J’espère que je me rappellerais que je ne suis pas que ça, que chaque personne est beaucoup plus que cela, que la somme est beaucoup plus grande que chacune de ces parties.
Dans notre société, le travail est extrêmement valorisé, et constitue une part importante de notre identité. Une personne qui a pris sa retraite récemment m’a dit : « Mais, je vais répondre quoi maintenant, quand les gens vont me demander ce que je fais dans la vie? » Moi, je suis de moins en moins Rose-Marie Charest et de plus en plus Rose‑Marie. En vieillissant, on devient de plus en plus la personne qu’on est, et de moins en moins un titre, une fonction. Mais sur le coup, même les gens qui avaient rêvé de leur retraite peuvent vivre un deuil identitaire. Ce que ça veut dire, c’est qu’il faut commencer à se regarder comme une personne, globalement, avec tout ce qu’on est, au-delà de notre identité professionnelle.
5- Stimuler ma curiosité
À l’adolescence, on se disait : « Bon, qu’est-ce que je peux faire? Où est-ce que je peux diriger mon énergie? Avec qui je pourrais me lier? » On se posait plein de questions à cette période parce qu’il y avait beaucoup de possibilités. En vieillissant, il y en a moins, mais il y a! « Qu’est-ce que je vais choisir? Comment vais-je agir? Que vais-je faire? » Carl Rogers, un grand psychologue humaniste, avait dit que l’être humain a toujours une dose de liberté. Notre liberté existe toujours, ne serait-ce que dans notre capacité à percevoir les choses et à exercer notre capacité de choix. En vieillissant, notre cadre se rétrécit, et c’est tout à fait normal, mais à l’intérieur de ce cadre, il y a énormément de possibilités, jusqu’à la dernière minute.
La curiosité des autres et de soi est importante. Il faut explorer, se sortir un peu de ses habitudes, aller voir ailleurs que ce qui nous intéresse. Ça peut être des choses très simples, comme aller dans une librairie, feuilleter toutes sortes de publications, et se demander ce qu’on pourrait lire maintenant, ou demander à nos proches de nous présenter quelqu’un, pour découvrir de nouvelles personnes. L’important, c’est de s’éveiller à une nouvelle réalité. Cette curiosité-là, si elle demeure, nous nourrit. Les personnes qui sont plus âgées ont un plus grand réservoir d’histoires, de différences de vie vécues. Les échanges peuvent donc être très riches.
6- M’ouvrir aux autres
L’ouverture aux autres est source de richesse à une seule condition : qu’on ne craigne pas de dire que notre vie n’a pas été un long fleuve tranquille! Trop souvent, ce qui crée le sentiment de solitude, de vide, c’est que tout le monde garde pour soi ses zones d’ombre. Moi, ça m’a été confié assez souvent par des gens dont la solitude était due au fait que, oui, ils voyaient du monde, mais ne parlaient jamais des choses qui les troublaient, de ces choses authentiques que tout le monde vit. Si vous osez dire : « Ben moi, ce n’est pas parfait! », vous constaterez que l’autre répondra : « Moi non plus, ma vie n’a pas été parfaite, j’ai eu des difficultés. » L’intérêt réel qu’on porte envers l’autre fera en sorte que la personne se sentira assez confiante pour s’ouvrir, ce qui nous permettra de nous ouvrir aussi.
7- Oublier la perfection
Le pédiatre Donald Winnicott nous a apporté la notion de « la mère suffisamment bonne ». Il la décrivait comme une mère qui n’est pas parfaite, qui ne cherche pas à être parfaite, et parce qu’elle sait qu’elle n’est pas parfaite, elle est capable de s’adapter et d’être flexible dans sa relation avec son enfant. J’importe ce concept dans tous les domaines de la vie. Être capable de se regarder et de se dire : « Ce n’est pas parfait, mais c’est suffisamment bon. » Ça veut dire que, dans tout ce que je suis, il y a pas mal de bon. On l’applique à soi, mais aussi aux autres, sauf dans de rares exceptions où il y a des choses qui sont inacceptables.
Le « suffisamment bon » n’est pas fixe. C’est « suffisamment bon pour le moment ». Oui, ma journée était suffisamment bonne, mais ça ne veut pas dire que ce que je n’ai pas pu faire aujourd’hui, je n’aurai pas envie de le faire demain. J’applique le concept surtout à notre évaluation de nous-mêmes. Les perfectionnistes sont souvent les personnes les plus malheureuses, parce qu’elles sont constamment en train de se critiquer, de s’en vouloir. Moi, quand j’écris un livre, il faut que j’accepte à un moment donné que le temps est venu de laisser aller, sinon je vais réécrire la même page toute ma vie.
8- Arrêter d’essayer
Je crois qu’il faut tendre vers un certain changement dans la vie, sinon, je n’aurais pas fait de la psychothérapie! Mais à un moment donné, il y a des choses qui nous ressemblent assez pour qu’on puisse dire : « Ça, je vais accepter de vivre avec ça. Peut-être que je n’aurai jamais le physique que je voulais, mais je vais l’accepter. » Ou parfois, on aimerait que nos enfants soient différents; on continue à forcer pour que l’un retourne aux études, que l’autre ne quitte pas sa femme… C’est notre rôle de parent d’essayer, mais après un certain temps, il faut arrêter de forcer. C’est ainsi que l’énergie qu’on met à essayer de changer quelque chose chez soi ou chez l’autre ne devient plus disponible pour te développer autrement.
Je pense que l’expression qui décrirait cela le mieux, c’est : « Arrêtez d’essayer. »Je vais vous donner un exemple très concret. Toute ma vie, j’ai essayé d’aimer le sport et l’entraînement physique. Je m’achetais des abonnements au gym… c’était comme s’acheter une carte de culpabilité! Puis, un jour, j’ai dit à mon mari : « Là, c’est fini, je n’en achète plus! » Je me suis alors mise à marcher, à découvrir le plaisir de la promenade. À force de me battre pour faire quelque chose qui n’était pas moi, j’avais perdu de vue ce qui me ressemblait vraiment. Ce n’était pas parfait, mais c’était mieux que de ne pas faire d’activité physique. Autre exemple : beaucoup de gens, même dans le dernier tiers de leur vie, veulent absolument créer une relation de couple. Si, en cours de route, on rencontre quelqu’un d’intéressant, tant mieux. Mais si on est capable de réfléchir à comment mieux vivre en solo, ça va libérer de l’énergie pour être heureuse et heureux maintenant.
À lire

Ce que j’ai appris de vous…
Rose-Marie Charest
Les éditions La Presse
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