Voir l’Everest pour vaincre l’âgisme

On dit que les voyages forment la jeunesse. Ils peuvent aussi bien forger la vieillesse. Quatre Québécoises de plus de 65 ans l’ont bien illustré en bravant le froid, la fatigue et l’altitude pour se rendre à pied au camp de base de l’Everest. Ce périple accompli au nom de la science démontre que la résilience — et le dépassement de soi! — n’ont pas d’âge.

En une dizaine de jours, le groupe a mené une ascension de 5364 mètres. Ce n’est pas un mince exploit pour ces femmes qui, bien que généralement actives et aventurières, ne sont pas reconnues pour leurs capacités athlétiques.

« Pour moi, ça a été très difficile, avoue Jocelyne Gatien, 70 ans. Marcher presque 10 heures par jour tout en composant avec le manque d’oxygène, c’était comme courir un marathon quotidiennement. »

Durant cette épreuve, son état physiologique — comme celui de ses trois coparticipantes — a été surveillé de près par des médecins et une équipe de recherche scientifique. Cela s’est fait dans le cadre d’une étude interdisciplinaire de l’Université de Sherbrooke (UdS), initiée par la professeure Eléonor Riesco, qui s’est intéressée notamment à la capacité d’adaptation physique, cognitive, sociale et culturelle des personnes aînées.

Tester les limites

En amont du grand départ vers l’Everest, les semaines d’entraînement en Estrie ont été essentielles au conditionnement physique et mental des participantes, mais ne pouvaient quand même pas les préparer à tous les aléas d’une telle aventure en haute montagne. Bronchites, problèmes gastro-intestinaux, nuits glaciales dans des chambres non chauffées…

« C’est vrai que ça n’a pas toujours facile, qu’on a vécu des inconforts, qu’on a testé nos limites », reconnaît Réjeanne Tremblay, la doyenne du groupe.

Se rendre au camp de base de l’Everest, ce n’est pas une petite balade de plaisance, confirme Bernadette Véronneau, 74 ans, qui raconte avoir même perdu connaissance en chemin. « Après quelques minutes, je me suis relevée, et on m’a dit de marcher moins vite », se rappelle celle qui a fait quelques chemins de Compostelle dans sa vie.

« L’expédition de ma vie »

Les épreuves ne manquaient donc pas, et auraient pu saper l’enthousiasme du groupe. Et pourtant… « Le voyage en un mot? Incroyable! s’exclame Réjeanne, qui a célébré son 75e anniversaire dans les hauteurs népalaises. J’ai fait quelques longues marches, mais celle-ci les dépasse. C’est l’expédition de ma vie. »

Idem pour Jocelyne. « Chaque fois que je voyais les paysages, c’était ma récompense », raconte celle qui n’oubliera jamais la beauté et l’immensité des montagnes.

« C’était énergisant; il faisait beau, le soleil brillait… Ça donnait envie de continuer un pas à la fois », se souvient Bernadette, qui s’est impliquée dans le projet quelques jours avant le départ, en remplacement d’une participante blessée.

Cette capacité de sourire et de maintenir les efforts, peu importe les embûches, a offert une bonne dose d’inspiration aux membres de l’équipe de recherche. « Elles m’ont beaucoup ancrée dans le moment présent, souligne Eléonor Riesco, de la Faculté des sciences de l’activité physique de l’UdS. Leur recul et leur expérience de vie ont fait en sorte que leur perspective dans la difficulté était beaucoup plus sereine. »

Cela a eu pour effet de stabiliser le groupe et d’en assurer l’unité.

« Je pensais que j’étais tenace, mais là… Disons que j’ai appris qu’il en faut beaucoup pour m’abattre », souligne Réjeanne.

« De me rendre au camp de base alors que j’avais des difficultés physiques, de faire preuve d’autant de résilience, oui, ça m’a beaucoup surpris, renchérit Jocelyne. On dirait que je suis revenue avec une plus grande confiance en moi. »

Elle ajoute qu’elle ne croit pas avoir réussi l’exploit en dépit de son âge, mais bien grâce à lui. « À 30 ans, j’aurais eu la force physique, oui, mais peut-être pas la force mentale. Aujourd’hui, avec mon vécu, j’ai une maîtrise de mes pensées négatives et une faculté d’adaptation face aux obstacles. Plus jeune, on lâche prise peut-être plus facilement. »

Combattre les stéréotypes

Avec ses collègues, Eléonor Riesco doit encore analyser les données récoltées lors de l’ascension. Selon elle, les performances physiques des participantes pourraient ressembler à celles des membres de l’équipe de recherche, et ce, malgré la différence d’âge. « Je pense cependant que les participantes vont se démarquer sur les plans de la résilience individuelle et d’équipe. Il y a quelque chose de fort dans le fait de vieillir. Je savais qu’il était là, mais je l’avais sous-estimé. »

Celle qui est aussi codirectrice du Centre de recherche sur le vieillissement estime que ce projet peut justement servir à combattre certains stéréotypes qui veulent que les personnes aînées soient forcément vulnérables. « La vulnérabilité chez la personne âgée, c’est important. Il faut la connaître et ne pas la minimiser, mais ça ne peut pas se faire au détriment de toute une proportion de la population qui n’est pas vulnérable. La majorité des gens vieillissants sont actifs au quotidien, que ce soit physiquement ou cognitivement. Mais c’est comme si on l’oublie. »

C’est donc pour nous rappeler de contester les idées reçues que les participantes s’adressent aux médias depuis leur retour du Népal. « Mon message? Il faut se faire confiance et ne pas se limiter à cause de son âge », lance Jocelyne, ajoutant qu’il est essentiel de « continuer de faire ce qu’on aime et de vivre nos passions ».

« Le temps passe super vite, prévient Réjeanne. On a juste une vie à vivre, et elle est courte! Quand il y a des occasions, il faut les saisir et les vivre pleinement. »

Leurs témoignages, ainsi que les données récoltées pendant le voyage, pourraient servir à créer des outils de sensibilisation sur le vieillissement actif. La réalisation d’un balado et la tenue de conférences ont aussi été évoquées.

Bien que nous ne l’ayons pas rencontrée dans le cadre de ce reportage, Jocelyne Picotin a aussi réussi l’exploit de marcher jusqu’au camp de base de l’Everest.