La sexualité après un diagnostic de cancer : un tabou à briser

Entre un corps transformé qu’on ne reconnaît parfois plus et les émotions complexes qui en découlent, renouer avec sa sexualité après un diagnostic de cancer est un défi de taille qui, heureusement, n’est pas insurmontable.

En 35 ans, le taux de mortalité du cancer a chuté de 26 % chez les Canadiennes et de près de 40 % chez les Canadiens, indique la Fondation québécoise du cancer. Les chances de survivre au moins cinq ans sont passées d’un peu plus d’une sur deux, il y a 30 ans, à près de deux sur trois en 2023.

« Survivre c’est bien, mais survivre avec une bonne qualité de vie c’est encore mieux », affirme Jeanne Bouteaud, gynécologue au CHUM.

Et même si une sexualité satisfaisante fait partie d’une qualité de vie enviable, « c’est encore tabou de parler de sexualité et de cancer », reconnaît Kimberley Thibodeau, travailleuse sociale au Programme d’oncologie psychosociale du CUSM.

Le calme après la tempête

« Pendant les traitements, les patients sont dans un état de survie, avance la sexologue retraitée Renée Pichette, qui a œuvré auprès d’une clientèle oncologique au CHUM. Passer à travers leur demande beaucoup d’énergie. »

« En chimio[thérapie], je ne me sentais pas à l’aise du tout de me rapprocher physiquement de quelqu’un! » témoigne Marie-France, à qui on a diagnostiqué une tumeur il y a une vingtaine d’années.

C’est quand la tempête est derrière eux que les patients songent à leur vie sexuelle. Une fois la proximité physique perdue, même temporairement, il devient cependant plus difficile de la rebâtir.

Certains cancers féminins font basculer les patientes dans une ménopause précoce, indique Dre Bouteaud. Surviennent alors bouffées de chaleur et insomnie, mais aussi une baisse de la libido et du désir. « La ménopause précoce peut aussi entraîner le syndrome génito-urinaire, qui peut être empiré par certains traitements. Les femmes vont alors vivent plus de sécheresse vaginale, d’inconfort et de douleur », détaille la gynécologue, ajoutant que des traitements hormonaux peuvent être prescrits pour y remédier.

Marie-France l’a vécu. « Tout ton corps change : les hormones, des vaginites, la peau sèche ou la rétention d’eau, dit-elle. […]  Après ma chimiothérapie, mon corps emmagasinait de l’eau. Dès qu’on me touchait, j’avais mal, je n’avais aucune envie qu’on s’approche de moi. »

Comme le corps est programmé pour nous empêcher de revivre une expérience douloureuse, il est possible que l’idée d’avoir une relation sexuelle dans ces conditions soit rebutante.

Les hommes ne sont pas en reste. Plusieurs cancers affectent leur capacité à avoir une érection ou à la maintenir. « Il faut se demander : est-ce qu’on vit bien avec ça? », souligne Kimberley Thibodeau.

Une estime de soi à rebâtir

Mastectomie, ablation d’un testicule ou d’une partie de la langue et on en passe : au-delà de l’aspect mécanique de la sexualité, le cancer et ses traitements peuvent affecter négativement l’image corporelle des malades. À cela s’ajoute la perte des cheveux, des cicatrices ou des fluctuations de poids qui minent le sentiment d’être désirable chez les personnes survivantes.

 « Pour ce qui est des stomies, la peur ou le dégoût, c’est souvent plus difficile à gérer pour les partenaires », illustre Renée Pichette.

Avec une estime de soi au plancher, difficile d’être dans un état d’esprit propice aux rapprochements.

« Moi, je dois me sentir bien et belle pour aller plus loin », confirme Marie-France, à qui il manque une partie de la clavicule et une omoplate. La femme arbore aussi une longue cicatrice.

Le fait de ne pas se sentir désirable suscite la crainte d’être délaissée par son ou sa partenaire.

« Ça va dépendre de comment les conjoints se sont accompagnés pendant la maladie, estime Kimberley Thibodeau. De voir son partenaire comme une personne malade peut entraîner la peur de lui faire mal. »

Dans la plupart des cas, la conjointe ou le conjoint est compréhensif. « J’ai vu des couples où le partenaire qui n’était pas malade disait trouver l’autre aussi beau ou belle qu’avant la maladie », ajoute la travailleuse sociale.

« Ils vont dire : ce n’est pas grave s’il lui en manque un morceau, l’important, c’est que l’autre soit en vie et hors de danger », renchérit Renée Pichette.

Même les célibataires se posent ces questions et craignent de ne jamais retrouver l’amour.

Au moment d’être soignée, Marie-France connaissait déjà celui qui allait être son mari pendant 15 ans. Aujourd’hui divorcée, la situation est plus difficile, reconnaît-elle.

« [Mon apparence] fait peur à plusieurs hommes, dit-elle, déçue. Pour une relation sérieuse, ça décourage beaucoup d’hommes d’aller plus loin. »

Réinventer sa sexualité

La clé de la guérison réside là : après un cancer, il faut vivre le deuil d’une partie de sa sexualité liée à sa vie d’avant.

Toutes les professionnelles sont d’avis qu’un retour à une sexualité épanouissante est possible, dès qu’on y met des efforts. « Ça ne sera pas la même chose, mais en ouvrant ses horizons, il est possible d’y trouver son compte », promet Renée Pichette.

C’est l’approche utilisée par Marie-France. « Ce cancer-là ne m’appartient pas, et je suis encore en vie. Je tente de retrouver une certaine sensualité. Pour gagner confiance en moi, je mise sur d’autres atouts », dit-elle.

Même si son mariage est aujourd’hui chose du passé, son union lui a appris que de vivre une sexualité satisfaisante est possible après un cancer.

« Avec mon ex-mari, on s’est enlevé la pression d’avoir des relations complètes, témoigne la survivante. On se donnait de l’affection, on avait des moments de tendresse, tout simplement. L’intimité est importante, parce que là-dedans, tu te sens mieux épaulé. »

La principale intéressée le confirme en entrevue : le soutien du partenaire, c’est très sexy!