Il y a 1,5 million d’aînés de 65 ans et plus au Québec et 10 % d’entre eux sont gais ou lesbiennes. Pourtant, ils sont quasi invisibles. Certains ont toujours vécu leur homosexualité sous le manteau, d’autres sont carrément rentrés dans le placard au moment d’emménager en résidence, de crainte de subir de l’homophobie, encore une fois.
En effet, tout reste à faire pour assurer aux gais et lesbiennes déjà âgés une dernière étape de vie à l’abri de l’homophobie, cette attitude de rejet et de discrimination envers les LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels, transsexuels et transgenres).
Des résidences et CHSLD pour tous ?
Afin d’informer et de sensibiliser la population aux réalités des personnes LGBT, la Fondation Émergence, une organisation sans but lucratif dédiée au bien-être et à l’égalité des personnes LGBT, a mis sur pied le programme Pour que vieillir soit gai.
Les fiches d’information de ce programme rappellent que si bien des batailles ont été gagnées ces dernières décennies, les personnes âgées d’aujourd’hui ont vécu leur jeunesse dans une société où l’homosexualité était encore un crime au Canada. La documentation énumère aussi diverses appréhensions des aînés gais, notamment celle qu’un futur milieu de vie – une résidence pour aînés ou un CHSLD – leur soit hostile.
Denise Veilleux, qui a milité toute sa vie pour les droits des gais et lesbiennes, ressent cette crainte. Elle se demande si son amoureuse et elle seront à l’aise au moment d’emménager dans une résidence pour aînés où elles se retrouveront dépendantes d’un personnel qui présume de l’hétérosexualité de tous les résidents. « Devrons-nous neutraliser notre environnement pour ne pas que des photos et souvenirs nous exposent à de l’homophobie ? », laisse tomber la sexagénaire.
Denise raconte à titre d’exemple qu’il y a quelques années, lorsque sa conjointe d’alors a été admise dans une maison de soins palliatifs, elle n’a pas bénéficié du réconfort du personnel, contrairement aux conjoints des autres personnes en fin de vie.
Un sondage réalisé en 2016 dans le cadre de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, qui a lieu tous les 17 mai, révèle d’ailleurs que 66 % des Québécois considèrent qu’il est difficile pour les personnes aînées homosexuelles de vivre ouvertement une relation amoureuse en centre d’hébergement pour aînés.
Quelle sexualité ?
En outre, « Respecter le choix d’une personne aînée de dévoiler ou non son orientation homosexuelle ou sa transsexualité » est l’un des principes de la Charte de la bientraitance envers les personnes aînées homosexuelles mise de l’avant par la Fondation Émergence. C’est fondamental pour le maintien de la dignité, surtout pour les aînés plus âgés, qui ont commencé à vivre leur orientation sexuelle à une époque de grande réprobation sociale, où il était particulièrement exigeant de sortir du placard.
De façon plus générale, ce contexte met en lumière les tabous persistants concernant la vie sexuelle de tous les aînés, le plus tenace voulant que la majorité d’entre eux aient renoncé à toute forme d’expression de la sexualité. Selon cette logique, puisque les personnes homosexuelles sont d’abord définies sous l’angle de l’acte sexuel, leur homosexualité se dissiperait en vieillissant, ce qui, bien sûr, est faux.
Les préjugés réducteurs à l’endroit des aînés, qu’ils soient homosexuels, hétérosexuels, transsexuels ou transgenres, influencent les pratiques. Le droit des couples aînés à l’intimité – et même à vivre dans le même établissement – est souvent bafoué, surtout en CHSLD. On fait ainsi fi de l’importance des sentiments amoureux et affectifs pour tous les aînés, qu’ils soient actifs ou non sexuellement.
Non à l’homophobie : mode d’emploi
Il ne fait aucun doute : des efforts de sensibilisation doivent cibler les personnes qui œuvrent auprès des aînés LGBT ou les côtoient, de façon à créer des milieux de vie inclusifs. D’où l’importance du programme Pour que vieillir soit gai et de sa pièce de résistance, la Charte de la bientraitance envers les personnes aînées homosexuelles. Elle se décline en 11 principes prônant un traitement égalitaire pour tous les aînés et le droit des LGBT de vieillir dans la dignité, dans un environnement exempt d’homophobie.
Une très bonne façon de faire sa part pour contrer l’homophobie est de demander que soit affiché ce document dans notre résidence pour aînés, notre club de retraités, etc. Il s’agit d’un geste d’accueil envers les aînés gais, qu’ils s’affichent comme tels ou non. On peut télécharger la Charte, l’affiche Ici, non à l’homophobie et le dépliant du programme, au fondationemergence.org ou les commander au 438 384-1058.
Sur demande, la Fondation Émergence peut également se déplacer pour tenir une activité de sensibilisation à la réalité des aînés LGBT, destinée notamment aux groupes d’aînés.
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« Nous nous sommes trouvés »
En réponse à un simple « comment allez-vous ? », Denis Émond a révélé tout le bonheur qui l’habitait, début juin. « Je vais mieux que vous, j’en suis sûr, car je me marie dans deux semaines ». Ça s’est déroulé le jour de ses 74 ans et sa fille Nathalie l’a uni officiellement à l’élu de son cœur, Raymond Paul, 71 ans.
« Nous nous sommes trouvés », résume Denis. Pourtant, jusqu’en mars 2016, Raymond et Denis avaient eu un parcours diamétralement opposé. Raymond a grandi dans une famille et évolué dans un milieu de travail très ouverts. Pour lui, aucun coming out n’a été nécessaire. Après le décès de son conjoint des 28 dernières années, il cherchait à nouveau l’amour.
Quant à Denis, il a été marié 32 ans, a eu quatre filles et a vécu en straight jusqu’à l’âge de 52 ans, avant de découvrir que l’homosexualité existait et qu’il était gai. Tout son entourage a bien réagi à sa sortie du placard. « Sa fille m’a remercié de rendre son père heureux », témoigne Raymond, ému.
Les jeunes mariés étaient fiers de partager par la suite des photos de l’heureux événement. Car à leur avis, pour que décline l’homophobie et que la différence soit mieux acceptée, rien ne vaut des modèles de gais assumés et heureux. Ce qu’ils sont.
« Nous n’hésitons pas à nous balader main dans la main à Dorval, où nous habitons. Les gens ne semblent pas du tout offusqués. Au contraire, ils nous répondent par un sourire », raconte Raymond.
En pleine forme, le couple n’a guère envisagé encore un éventuel déménagement dans une résidence pour aînés. Seule certitude : pas question de rentrer dans le placard !