Un homme à la mer

Non, Jean Lemire n’est pas tombé du Sedna IV sur lequel son équipage et lui ont quitté le Québec en avril, entamant ainsi la mission 1000 jours pour la planète, trois ans à sillonner les mers et les terres du monde. Avec lui, l’expression « un homme à la mer » prend un autre sens. Celui d’une personne qui n’a pas peur de se mouiller pour aller au bout de ses passions, de ses convictions et de sa mission : montrer la beauté et la fragilité de la biodiversité afin de générer une marée humaine pour sauver la planète.

« C’est difficile de ne pas être alarmiste quand on parle de changements climatiques tant les statistiques donnent froid dans le dos. Toutefois, je constate que les gens en ont assez de la morosité. C’est pourquoi je leur propose un message positif, la beauté de la diversité biologique », racontait Jean Lemire quelques semaines avant le grand départ.

La solution ?
Chacun de nous !

Et il mise principalement sur les jeunes pour générer ce tsunami d’amour dont la planète a tant besoin. Les jeunes, à cause de leur proximité de coeur avec la nature et de leur ascendant sur leurs parents et grands-parents. C’est pourquoi jusqu’à dix vidéoconférences sont retransmises quotidiennement dans les écoles à partir du Sedna IV. Les gens peuvent aussi suivre ce périple sur Internet. Des émissions de télévision et un long-métrage, Requiem en bleu majeur – sans paroles – seront aussi tirés de cette immense aventure scientifique.

Dans ses documentaires, dont la force est de mettre en action les changements climatiques en plus de les expliquer, le facteur humain est central. Et il le sera encore davantage cette fois-ci que durant les missions précédentes, qui ont mené l’aventurier marin notamment en Antarctique et en Arctique. « Nous voulons montrer de beaux exemples de mobilisation de la part de gens ordinaires, partout à travers le monde. C’est en eux que mon espoir repose puisque si chacun se met à faire attention à la nature, les choses vont changer et le politique n’aura pas le choix de suivre. »

Baleines, plastique et cie

De Gaspé, le navire de 51 mètres a d’abord mis le cap sur Les Açores, pour étudier les modes de communication des baleines bleues. Plus grand animal marin, la baleine bleue était le sujet de recherche tout désigné pour entreprendre cette mission, étant en quelque sorte le symbole ultime de la lutte pour la conservation des espèces. C’est aussi le principal champ d’expertise de Jean Lemire, un biologiste de formation.

Puis, en juin, l’équipage de 15 à 19 personnes se dirigera vers une bien moins réjouissante destination : un véritable « continent » de plastique, constitué au gré des courants dans l’Atlantique Nord, au large des Bermudes, à la latitude d’Atlanta. « Cette véritable poubelle de débris est comparable en taille et en concentration à celle qui flotte sur le Pacifique et qui est aussi grande que le Texas. » Bien d’autres découvertes attendront ensuite les explorateurs pendant les trois ans de cette aventure.

Urgence et optimisme !

Sage loup de mer, Jean Lemire demeure optimiste malgré l’urgence causée par l’accélération des changements climatiques, ces bouleversements inquiétants qu’il a d’ailleurs été parmi les premiers chez nous à décrier et que plus personne aujourd’hui ne remet en question. Il puise l’espoir dans ces gens qu’il rencontre, partout autour du monde, et qui partagent ses préoccupations au point de les transformer, eux aussi, en actions.

Autre source d’encouragement : même si les changements de mentalités sont lents, ils sont permanents. « Vous souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, les gens vidaient leur cendrier d’auto par terre dans les stationnements et jetaient leurs déchets sur le bord des autoroutes ? Aujourd’hui, de tels gestes seraient impensables. Nous recyclons, nous ne laissons plus couler l’eau pendant que nous nous brossons les dents. Ce sont des acquis et les gens ne reculeront pas. »

Il estime toutefois que nous en sommes à faire nôtre une autre vague de gestes concrets dans le but d’établir une nouvelle relation avec la planète. « Lorsque les gens vont pleinement réaliser que l’environnement est directement en lien avec leur santé, il se produira un nouveau déclic qui va nous faire avancer. Les allergies, certains cancers et bien d’autres maladies ont des causes environnementales. Tout est interrelié. Il faut agir avant que cela ne touche davantage notre qualité de vie. »

Quels gestes faut-il prioriser, comme citoyens ? « J’ai été élevé dans une famille où l’on mangeait ce qui sortait de la terre, quand ça sortait de la terre. C’est le gros bon sens. Il faut donc limiter notre consommation de produits importés et manger surtout des choses produites localement. De plus, il faut favoriser le transport en commun et les voitures peu énergivores », dit celui qui conduit un véhicule hybride.

Joyeux 50e !

Le début de la mission 1000 jours pour la planète coïncide avec l’entrée dans la cinquantaine de l’explorateur. « 50 ans, ce n’est pas vieux, soyons clairs », lance-t-il d’emblée quand je l’amène sur le terrain glissant de ce dur passage. Nostalgique de l’époque où il était capable de lire sans lunettes et se croyait immunisé contre les tracas physiques, il se réconforte en se disant que réfléchir sur les grands enjeux environnementaux garde jeune et entretient cet organe si important qu’est le cerveau.

Certains jours, ses choix de vie lui pèsent aussi davantage qu’auparavant. Tout en se faisant poudrer le nez en vue de la séance de photos pour Virage, au Vieux-Port de Montréal, à la faveur du clin d’oeil estival que nous a fait la nature à la fin mars, Jean Lemire confie qu’il y a un bémol à cette mission historique : le fait de l’avoir entreprise au prix de grands risques financiers pour lui… et submergé de dettes, entre autres en raison des dépassements de coûts associés aux rénovations majeures du Sedna IV. « Je m’étais pourtant promis de ne plus jamais me retrouver dans cette situation-là… », déplore l’homme dont les yeux s’harmonisant aux couleurs changeantes de la mer sont devenus hypersensibles et larmoyants, vestiges de tout ce temps à côtoyer les blanches banquises.

Et puis, il a laissé derrière lui sa compagne de vie et le fils de cette dernière. « Je croyais être à jamais un missionnaire de l’environnement, sans port d’attache, prêchant pour les générations futures. Mais tout a changé à mon retour de l’Antarctique. Grâce à ce petit bonhomme de trois ans, mes convictions ont maintenant un nom… »

« J’pu capable ! »

Posé et habitué des causes au long cours, Jean Lemire a aussi ses ras-le-bol.

Voici trois sujets parmi tant d’autres qui l’irritent profondément et lui font dire : « J’pu capable ! »

Les sacs de plastique :
« Lors de notre dernière mission, lorsque nous avons repris le chemin de la civilisation après 430 jours isolés dans les glaces de l’Antarctique, je n’oublierai jamais le sentiment de colère que j’ai ressenti en voyant un sac de plastique flottant sur l’eau au milieu de nulle part. Peut-on en  finir avec les sacs de plastique ? »

La dégradation de la réputation du Canada :
« Le Canada fait très mauvaise   figure en matière d’environnement alors que notre pays était un leader dans le domaine il n’y a pas si longtemps. Aujourd’hui, le Canada refuse de se prononcer ou ralentit sciemment les processus. C’est dommage et lourd de conséquences. Par contre, au Québec, des gestes significatifs pour l’environnement ont été posés au cours des dernières années. »

Le suremballage :
« Beaucoup trop d’aliments sont suremballés. Pire encore, certains supermarchés utilisent encore des emballages non recyclables. C’est insensé ! Comme consommateurs, nous devons éviter les produits suremballés. Il faut aussi inciter notre épicier à changer ses pratiques en matière d’emballage. Une façon de montrer ce gaspillage est d’enlever tout emballage inutile à la caisse. »