Conséquence directe du vieillissement de la population et de l’amélioration de l’état de santé des aînés, le nombre d’automobilistes très âgés est en explosion au Québec. En 2015, il y en avait près de 7 500 chez les 90 ans et plus, deux fois plus qu’en 2010. Au moment d’écrire ces lignes, il y avait même 11 centenaires derrière le volant.
Fernande Charest, 96 ans, est une digne représentante des automobilistes de sa tranche d’âge. N’ayant à son dossier aucun accident responsable en 56 ans, elle roule 7000 km par année au volant de sa Honda Civic blanche.
« Je vais où il faut que j’aille : à mes cours de peinture et de tai chi, magasiner, faire mon bénévolat, à mes activités FADOQ, etc. Je l’utilise tous les jours, même dans le trafic et lorsque les conditions routières sont difficiles, pour maintenir mes habiletés », dit la Charlebourgeoise. Elle ajoute tout bonnement qu’elle conduit régulièrement jusqu’à Saint-Jean-sur-Richelieu pour rendre visite à sa fille.
« On me taquine parfois sur le fait que je roule un peu vite », dit en riant cette amatrice de décapotables. Son plus vif souhait : conserver le plus longtemps possible son permis de conduire, une composante importante de son autonomie, de sa liberté et de sa qualité de vie.
Dangereux, les conducteurs expérimentés ?
Nos routes sont-elles moins sécuritaires de par la présence croissante d’aînés au volant ? Jamie Dow, médecin-conseil auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), déplore que les accidents impliquant des conducteurs aînés relancent chaque fois le débat sur le risque qu’ils représentent et l’opportunité de leur retirer leur permis à tel ou tel âge fixe.
« Lorsqu’un aîné a un accident, aux yeux du public, c’est presque toujours à cause de son âge. C’est de l’âgisme car à tout âge, les automobilistes font des gaffes et ont droit à l’erreur. D’ailleurs, dans les faits, le pourcentage d’accidents chez les automobilistes de 65 ans et plus est bien inférieur à la moyenne », affirme Dr Dow.
Toutefois, il souligne que chez les 65+, ceux qui conduisent moins de 3000 km par année sont responsables de 95 % des accidents dans leur groupe d’âge. « La conduite est une activité qu’on doit pratiquer régulièrement pour ne pas perdre ses habiletés », note le médecin-conseil.
« Perdre mon permis : jamais ! »
Cela nous amène au sujet ô combien délicat de la perte du permis de conduire, étape considérée par plusieurs, surtout les hommes, comme un deuil quasi insurmontable. D’abord, il faut savoir qu’à 75 ans, à 80 ans et tous les deux ans par la suite, tout détenteur d’un permis de conduire doit se soumettre à des examens médical et visuel effectués par des professionnels de la santé. Juste la réception de la lettre explicative de la SAAQ, assortie des formulaires à faire remplir, cause une commotion à bien des conducteurs expérimentés !
« Par cette procédure, la SAAQ ne cherche pas à retirer le permis de conduire aux gens. D’ailleurs, moins de 1 % des conducteurs voient leur permis révoqué à la suite des évaluations médicale et optométrique », signale le médecin attitré de la SAAQ. Le montant exigé par les médecins et optométristes pour remplir ces formulaires est à leur discrétion et n’est pas couvert par la carte soleil.
Dans certains cas, un test sur route sera aussi requis. Si les révocations de permis sont rares à l’issue de ces contrôles, plus fréquemment – soit dans environ 56 % des cas – des conditions seront ajoutées au permis de certains conducteurs expérimentés : conduite de jour seulement, interdiction de conduite sur l’autoroute, port de verres correcteurs, etc.
Par ailleurs, l’apparition d’une maladie n’est pas une cause de suspension de permis en tant que telle. Ce sont davantage les limitations fonctionnelles engendrées par la maladie qui seront prises en compte. De façon générale, les troubles cognitifs constituent la raison numéro un des pertes de permis, suivis des déficits du champ visuel.
Un jour, ce sera votre tour…
Même si bien des aînés tiennent à leur permis de conduire comme à la prunelle de leurs yeux, ils ne veulent pas non plus constituer un danger pour eux-mêmes ou les autres usagers de la route.
Comment peuvent-ils savoir si leur état de santé, leurs connaissances des règles de sécurité routière, leurs réflexes et autres exigences tiennent encore la route ? Plusieurs signes devraient leur mettre la puce à l’oreille : être limité dans leurs mouvements, avoir de la difficulté à lire ou à comprendre les panneaux de signalisation, reculer péniblement, constater que les gens hésitent à monter en voiture avec eux, etc.
En cas de doute, le mieux est d’en parler à leur entourage ou à un professionnel de la santé. Les proches ont un rôle crucial à jouer à cet effet car des changements importants de l’état de santé des aînés peuvent se produire en quelques mois seulement, soit entre les contrôles biennaux prévus par la SAAQ après 80 ans et entre les rendez-vous médicaux.
Dénoncer ou ne pas dénoncer…
« Tout titulaire d’un permis de conduire doit informer la SAAQ en cas de modification de son état de santé, et ce, dans les 30 jours suivant ce changement. Dans les faits, rares sont ceux qui se plient à cette déclaration volontaire parce que les gens ont peur de perdre leur permis », constate Dr Dow.
Il ajoute que lorsqu’un aîné modifie ses activités de conduite, l’entourage devrait lever un drapeau rouge et se demander si une détérioration de son état de santé ne serait pas à l’origine de ce changement.
« On encourage les proches à signaler tout conducteur, de préférence en impliquant les professionnels de la santé dans le processus. Un travail de sensibilisation est en cours auprès des médecins afin qu’ils prennent davantage en considération les inquiétudes des familles. Après tout, ce n’est pas de gaieté de cœur qu’ils dénoncent un être cher, puisque la révocation du permis alourdira encore la tâche de ces proches aidants », fait valoir Dr Dow.
D’ailleurs, bien avant d’en arriver là, l’aîné et son entourage devraient envisager des solutions de rechange à l’auto: autobus, taxi, transport adapté, services d’accompagnement ou autres, question de diminuer l’anxiété liée au moment de dire adieu au permis de conduire.
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Conducteurs impliqués dans des accidents (par tranche de 1000 conducteurs)
59 16-24 ans
35 25-34 ans
28 35-44 ans
24 45-54 ans
19 55-64 ans
17 65-74 ans
20 75 ans et plus
Source : Bilan routier 2015, SAAQ.
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Rafraîchissez vos connaissances !
Vous n’êtes pas un danger sur la route, loin s’en faut. Mais, en toute honnêteté, vous constatez que vos habiletés de conduite ne sont plus ce qu’elles étaient ? De plus, vous négociez plutôt mal le tournant des nouveautés sur les routes, telles que les carrefours giratoires ? Voici quelques avenues à emprunter :
- Informez-vous auprès de la SAAQ des dates des prochains ateliers Au volant de ma santé, d’une durée de 60 à 90 minutes, offerts gratuitement dans votre région. Au saaq.gouv.qc.ca, vous pouvez aussi télécharger le document du même nom et consulter la section « Aînés » de l’onglet « Sécurité routière ».
- Dépoussiérez différentes notions liées à la conduite automobile par le biais de plusieurs questionnaires au testdeconnaissances.saaq.gouv.qc.ca
- Inscrivez-vous à la formation Bonne route !, disponible partout au Québec. Il s’agit d’une version actualisée de l’ancien programme 55 ans au volant de l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP). Le coût d’inscription à ce cours théorique de six heures est de 60 $ (15 $ pour les membres de l’AQRP). Pour s’inscrire : 1 800 653-2747.
Photo : Marc-Antoine Hallé