« Papa, veux-tu venir habiter à la maison? »

Nouvellement veuf, Georges s’ennuie dans sa maison devenue trop grande. Autonome et jeune – 78 ans à peine ! –, il n’est pas pressé d’emménager dans une résidence privée pour aînés. Pendant que sa fille Nathalie songe à lui proposer de l’héberger, Georges rêve en secret qu’elle lui fasse la « grande demande ». Tour d’horizon de ce que l’un et l’autre doivent prendre en considération avant de dire : « Oui, je le veux ! »

Chaque situation est unique, bien entendu, et varie au premier chef selon l’état de santé du parent. Mais deux conditions gagnantes se dégagent d’un entretien sur le sujet avec Anna Andrianova et Patrick Durivage, du Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS) : la connaissance des risques et l’élaboration d’un plan de cohabitation.

Proche aidant… à temps plein

Selon les deux spécialistes, la personne proche aidante doit réaliser qu’il s’agit d’un engagement exigeant, qui ira croissant au rythme de la perte d’autonomie. Ce choix engendre notamment une détérioration de la santé (fatigue, inquiétudes…) de l’aidant et des conséquences financières (réduction des heures de travail, absentéisme…)

Bien sûr, il y a aussi des côtés positifs à cette cohabitation. « C’est rassurant d’avoir notre parent vieillissant près de soi et valorisant de veiller sur lui », indique Patrick Durivage, travailleur social œuvrant en soutien à l’autonomie des personnes âgées et coordonnateur du domaine d’expertise en soins palliatifs au CREGÉS.

Jamais sans plan de cohabitation

Quant au plan de cohabitation, c’est un nécessaire contrat entre les parties pour que la maisonnée vive en harmonie. Un travailleur social peut jouer un rôle central dans l’élaboration de ce plan et pour en renégocier les termes afin de mieux refléter la situation évolutive.

« Si la décision de vivre ensemble est réfléchie et planifiée, des mesures préalables sont prises pour équiper l’espace de vie et adapter la maison aux besoins de la personne âgée, des règles de communication et de cohabitation sont déterminées, des liens sont établis avec les membres de l’entourage, qui participent également activement à la vie de la personne âgée, etc. », résume Anna Andrianova, coordonnatrice du domaine d’expertise en proche aidance au CREGÉS.

Les aspects suivants doivent entre autres être pris en compte au moment de planifier la cohabitation :

  • Être un choix réel et non une obligation, de part et d’autre
  • Communiquer les attentes
  • Établir des règles
  • Partager les tâches et les dépenses
  • Fixer des limites à l’entente
  • Prévoir une période d’essai

Chacun doit aussi disposer de l’espace nécessaire pour être autonome et bénéficier d’une certaine intimité. « On peut tuer une plante à trop l’arroser », lance M. Durivage, pour illustrer que surprotéger un parent peut brimer son autonomie.

Par ailleurs, le domicile doit être sécuritaire pour le parent ou pouvoir être adapté, par exemple par l’ajout de rampes. À l’autre extrême : la conversion de la résidence en maison intergénérationnelle, lorsque la réglementation municipale le permet.

À ce sujet, la personne qui héberge son parent peut profiter de certains avantages fiscaux : dépenses pour l’accessibilité domiciliaire, montant pour personne à charge admissible, crédit canadien pour aidant naturel, crédit d’impôt pour personne aidante, crédit d’impôt pour frais engagés par un aîné pour maintenir son autonomie, etc.

Éviter les conflits… et l’abus

Comment faire en sorte que le climat demeure harmonieux avec la fratrie ? En faisant participer les proches à l’élaboration du plan de cohabitation, en les gardant informés sur une base régulière et en les encourageant à faire leur part, en temps et financièrement. La préparation de quelques repas par semaine par l’entourage est une bonne manière d’agir sur l’épuisement et l’appauvrissement du proche aidant principal, tout comme de courts séjours chez un autre enfant.

Un tel travail d’équipe peut aussi servir de rempart contre la maltraitance. Car oui, la cohabitation est un facteur de risque de maltraitance, de l’aidé à l’aidant ou vice-versa. « S’il y a eu maltraitance dans l’enfance de la part du parent, cela peut revenir en contexte de cohabitation », prévient Anna Andrianova.

Il faut aussi vérifier la proximité des ressources : CLSC (répit, gardiennage, soins à domicile…) et organismes communautaires. Cela peut sembler accessoire au départ, mais pourrait vite devenir essentiel au maintien de la qualité de vie, au gré de la perte d’autonomie.

À cet égard, Mme Andrianova suggère aux proches aidants de faire appel rapidement aux différentes formes d’aide. « La majorité des gens attendent d’être épuisés avant de recourir aux services des organismes communautaires, qui sont souvent sous-utilisés. »

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Pour le meilleur et pour le pire

Dès que Johanne a constaté le déclin cognitif de son père, Jean-Paul, elle l’a invité à venir habiter dans son logement, avec l’accord de Guy, son mari. Dix-huit mois déroutants à souhait, mais qu’elle n’échangerait pour rien au monde.

« En hébergeant mon père, j’étais moins inquiète, j’avais la satisfaction de prendre soin de lui et de profiter de sa présence. Le principal inconvénient a été d’ordre financier. Après quelques mois, j’ai dû arrêter de travailler car je ne pouvais plus le laisser seul », résume-t-elle. La « pension » qu’il lui versait était loin de couvrir les revenus de travail perdus.

Et puis, l’épuisement l’a gagnée. Il y avait bien des services de répit, mais trop peu fréquents pour qu’elle puisse reprendre son souffle.

L’état de Jean-Paul s’étant dégradé, il est maintenant hébergé en CHSLD. « Mon seul regret est de ne pas l’avoir hébergé plus tôt dans sa maladie. De cette manière, j’aurais passé plus de temps de qualité avec mon père. »