Les souvenirs, selon Louise Portal

Écrivaine, chanteuse, comédienne et conférencière, Louise Portal œuvre dans le milieu culturel québécois depuis plus de 50 ans. Elle signe le dernier d’une série de quatre textes exclusifs à Virage.

L’impermanence de la vie nous appelle en des lieux, des contrées, des espaces que nous n’aurions pas nécessairement prévus.

Mon mari et moi devions passer deux mois, à l’hiver 2021, à Zihuatanejo au Mexique. Je me sentais depuis quelques mois semi-retraitée et j’avais envie de vivre cette transition au soleil, dans un farniente qui ne m’avait jamais été offert. Je me disais qu’à 71 ans, c’est le temps!

Mais voilà que la pandémie avait changé nos plans et j’ai passé plusieurs mois au Saguenay pour explorer ce nouvel apprentissage. J’ai alors fait une sorte de voyage à rebours. Repensé à notre maison en Estrie, notre Sanctuaire sis au cœur du paysage de la vallée d’Eastman, où nous aurions pu être si nous n’avions pas vendu cinq ans auparavant. Pourtant, nous y avions créé un lieu d’exception! Pourquoi l’avoir quitté? Je me retrouvais plutôt dans un chalet rustique au bord du lac de mon enfance où, depuis, nous avions refait notre nid. Un retour aux sources qui allait m’inviter à revisiter des pans importants de ma vie et faire un bilan non seulement nécessaire, mais très éloquent. Comment est-ce que j’envisageais ce chemin du vieillir?

Gardiens de nos émotions

J’ai alors réalisé que toutes ces mouvances étaient porteuses de sens!

J’avais appris, au fil de nos pérégrinations, le détachement. Quitter un lieu aimé et le porter en soi. Tout comme on fait nos adieux à un être cher et qui continuera d’habiter notre cœur, nos pensées.

Les souvenirs sont les gardiens de nos émotions les plus ferventes. Les tendres et les plus déchirantes. De là, l’importance de nettoyer nos pensées pour en filtrer les dépôts négatifs que l’on a tendance à emmagasiner, parfois malgré nous. La colère et le ressentiment intoxiquent nos heures. Il n’y a que le détachement dans l’amour qui opère des miracles, nous transforme et ne dépose en héritage que cette bienveillance à cultiver qui nourrit, fait grandir, élargit l’être dans le respect de soi-même et de l’autre.

Détachement et gratitude

Je pense à ceux qui nous ont précédés dans cette mystérieuse aventure de vivre et à tous ceux qui nous survivront. Nous sommes si peu de chose, un humain parmi des milliards d’autres. Quelle est la partition qui nous est octroyée dans cette existence?

À plus de soixante-dix ans, je ne suis pas prête à envisager que mon train vient d’entrer en gare. Je n’ai pas envie d’être mise au rancart. Trop tôt. D’autres lieux, d’autres explorations me seront proposées. J’ai envie de poursuivre mon itinéraire et répondre à l’appel de la vie, mon destin.

J’ai confiance en mon âme, en la créativité, en cet amour qui m’habite. J’ai la certitude que je fais les choix qui me permettent d’évoluer.

Lorsque les souvenirs me ramènent dans le passé, je les accueille sans regret. Sans les questionnements qui commencent par : si nous avions gardé le Sanctuaire, si nous n’avions pas acheté le chalet, si…, si…, si…

Je m’assois dans le présent et j’éprouve une immense gratitude pour ma confiance et mon audace à me détacher et à continuer d’avancer vers la découverte et la nouveauté. Je suis toujours dans un avenir qui me fait signe.