
Dans un nouveau spectacle, l’exubérante drag queen Mado Lamotte raconte sa vie colorée, en monologues et en chansons. Pour son créateur, Luc Provost, c’est l’occasion de faire un bilan du long parcours de la « bitch joyeuse » à qui il donne vie depuis près de quatre décennies.
« C’est un best of de la vie de Mado, explique d’emblée le comédien au sujet du spectacle qu’il présentera dans plusieurs villes de la province. Au début, Mado était trash. C’était normal, elle performait dans des bars underground, et puis c’était la mode dans les années 80. Je l’ai peaufinée, je l’ai assagie, j’ai changé son vocabulaire, je l’ai rendue un peu plus madame. »
Si l’image d’une drag queen pouvait choquer à l’extérieur de la communauté gaie, Mado Lamotte a trouvé le moyen de s’adresser de plus en plus au grand public. Brisant des tabous au passage, la plus kitsch des calleuses de bingo a animé des soirées fort courues dans nombre de grandes salles, signé des chroniques dans le magazine Fugues et le défunt Ici Montréal, enregistré des CD, tourné une pub pour les chips YumYum, fondé son cabaret…
« J’avais un franc-parler, je faisais de la télé avec des looks bizarres. Ça a mené à certaines controverses; des gens ne m’aimaient pas, d’autres me défendaient. Mais c’est de l’humour, du spectacle. Une fois que ç’a été compris, beaucoup de gens ont adhéré en se disant : “C’est cool, finalement, les drag queens” ».

À l’âge des bilans
Comme tout le monde, Mado vieillit. Mais pas au même rythme. « Pendant 10 ans, elle disait qu’elle avait 29, puis 39. Là, elle dit qu’elle a 40… en argent américain », rigole Luc, bien conscient que le comédien, lui, n’a pas le loisir de figer son âge. Alors qu’il approche la soixantaine, il commence à ralentir (un peu), à se reposer (pas tant que ça) et à se consacrer aux (nombreux) projets qui lui tentent vraiment. Voilà un luxe qu’il n’a pas toujours eu.
« Avant, j’étais [au Cabaret Mado] cinq soirs par semaine, mais là, je n’ai plus la santé ni l’âge pour ça. Il faut que je me repose. Je suis vieux, moi! J’aime ça rester à la maison avec mes chats et regarder la télé. Je n’ai pas fait ça, jeune. »
Luc Provost, qui a récemment été nommé officier de l’Ordre de Montréal, arrive à l’âge des bilans. Le premier a été fait en 2023, avec la publication de Madographie aux Éditions La Presse. « C’est beaucoup mon histoire; comment j’ai travaillé Mado, comment je l’ai amenée là où elle est aujourd’hui. » Au départ, le plan était d’adapter le livre afin d’en faire un spectacle, mais « si je suis Mado sur scène, je ne peux pas dire “Luc a fait ceci, puis cela…” Les gens veulent entendre Mado qui a vécu une histoire, pas Luc qui fait semblant. C’est son récit, ses expériences… Elle existe comme un personnage à part entière. » Ainsi est né le deuxième bilan, celui de la vraie fausse vie de la « reine mère des drag queens ».

Mado la bitch joyeuse est un spectacle de variétés qui mêle humour et musique dans lequel elle parle de son enfance et de ses débuts comme artiste drag, raconte des anecdotes de shows et de voyages, parle de son rapport à la beauté et à la chirurgie plastique, d’hommes et de célibat…
« Son monde est coloré, imagé, comique, mais ça reste toujours de bon goût, pas vulgaire… » Évidemment, le bon goût a toujours été une chose relative, mais selon Luc, cette notion change beaucoup ces jours-ci, ce qui se reflète dans un humour un brin moins décapant — adieu les bitcheries sur les vedettes, par exemple. N’empêche, il promet que Mado sera toujours une « douce tannante, ou une baveuse sympathique », n’en déplaise aux gens coincés.
Le drag, cet art populaire
Sa nouvelle tournée se déploie alors que les drag queens connaissent un succès phénoménal, à l’image de la populaire téléréalité RuPaul’s Drag Race (et de ses versions internationales) et des vedettes d’ici comme Rita Baga, Mona de Grenoble et Barbada de Barbades.
« Je sais qu’il y a des nouvelles qui ont la cote en ce moment, c’est normal et c’est correct. Je suis bien fière d’elles […] J’ai donné un coup de pied dans la porte, elles l’ont défoncée et puis maintenant, on est installées, souligne Luc, ajoutant que c’est un bon moment pour aller visiter des régions qui n’avaient jamais vu Mado en show solo. Plus on voit de drag queens, plus on veut en voir… Pourquoi ne pas voir l’originale! »
Le rêve d’une vie
Professionnellement, Luc est quasi indissociable de Mado. Après tout, le comédien se consacre essentiellement à ce même personnage depuis 38 ans. A-t-il l’impression d’avoir fait le tour du jardin? « Non, parce que je l’ai fait évoluer. J’ai eu des offres variées. Faire de la télé, ouvrir un cabaret, faire des spectacles à Paris… Chaque fois que je me suis dit que j’avais atteint le top de ce que je peux faire, j’ai reçu une offre intéressante. Ça m’a permis de ne pas m’ennuyer. »
Il y a deux ans, c’est Luc et non Mado qui a reçu une proposition extraordinaire : celle d’interpréter sur scène le rôle-titre de la pièce Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres, dans une salle de la capitale nationale. Celui qui a étudié en théâtre à l’université avait ainsi la chance de jouer un personnage créé par son idole, Michel Tremblay. Ce « rêve d’une vie » aura une deuxième partie puisque la pièce sera jouée à nouveau vers la fin de l’année, cette fois à Montréal, avant de partir en tournée.
Après tous ces projets, qui sait ce que réserve l’avenir? Le comédien ne ferme aucune porte ni pour Luc ni pour Mado, se permettant même de rêver à de nouvelles performances de l’autre côté de l’Atlantique. D’ici là, on pourra toujours voir Mado à son cabaret (lorsque Luc n’est pas à la maison avec ses chats, bien sûr).
Mado sera en spectacle dans plusieurs villes d’ici juin. Pour en savoir plus ou acheter des billets, allez au bonsound.com/fr/artiste/mado-lamotte.