Les coups de cœur jazz de Stanley Péan

L’univers du jazz est vaste. Pour vous aider à l’explorer et vous mettre dans le rythme des festivals d’été, nous avons demandé à Stanley Péan de partager certains de ses coups de cœur musicaux. L’auteur et animateur de radio a donc pris la plume pour nous faire part de ses suggestions, qui sauront plaire tant aux néophytes qu’aux initiés. À vos listes d’écoute!

Propos recueillis par René-Pierre Beaudry

1- Un phrasé inimitable

Billie Holiday est ma chanteuse préférée, toutes catégories musicales confondues; celle qui me touche le plus, du moins, même si elle ne possède pas la plus « belle voix » au sens classique de cette expression. Avec la profondeur de son chant, la qualité de son émotion, son intelligence du texte et son phrasé inimitable, elle incarne pour moi tout ce que devrait être une artiste de jazz. Parmi ses nombreux disques, j’avoue avoir un faible pour Songs for Distingué Lovers, paru sous étiquette Verve en 1958. Le choix du répertoire est impeccable et la chanteuse côtoie avec aisance de vieux complices avec qui elle avait précédemment travaillé dans les années 1930, nommément le saxophoniste Ben Webster et le trompettiste Harry « Sweets » Edison. Une véritable rencontre au sommet.

2- Une virtuose de l’art vocal

Chez les chanteuses contemporaines, j’adore notamment Dianne Reeves, que j’ai découverte avec son disque I Remember (Blue Note), paru en 1991. C’est une chanteuse bien différente de Billie Holiday, une virtuose de l’art vocal à classer plutôt dans la lignée de Sarah Vaughan (à qui elle a d’ailleurs rendu hommage sur un disque subséquent). Encore ici, ce qui prime, nonobstant les prouesses vocales impressionnantes, c’est la qualité d’émotion. Et j’aime tout particulièrement sa version très émouvante de la chanson For All We Know, avec Mulgrew Miller au piano et Greg Osby au saxophone, encore plus déchirante que l’interprétation par Billie Holiday de la même chanson, selon moi. C’est vous dire.

3- Flair et charisme

Également, chez les chanteuses d’aujourd’hui, j’aime beaucoup la jeune Caity Gyorgy, une artiste originaire de Calgary qui a terminé ses études universitaires en musique à Montréal. J’apprécie son flair rythmique, sa maîtrise du scat (improvisation vocale propre au jazz) et son charisme fou. Elle a reçu le Prix Juno du meilleur album de jazz vocal au Canada deux années consécutives : en 2022 pour Now Pronouncing (La Réserve) et en 2023 pour Featuring (La Réserve). Évidemment, je recommande les deux disques.

4- Le chef-d’œuvre

Ce qui nous amène à Kind of Blue, le chef-d’œuvre de Miles Davis paru sous étiquette Columbia en 1959. C’est l’album incontournable, indispensable de l’histoire du jazz sur disque. Miles Davis et ses musiciens, parmi lesquels les saxophonistes John Coltrane et Julian Cannonball Adderley ainsi que le pianiste Bill Evans, y improvisent avec lyrisme et grâce sur des propositions schématiques d’une simplicité rare. Kind of Blue, c’est un objet d’art d’une beauté inégalée, qui distille un envoûtement et un mystère dont seul Miles Davis, avec le son si particulier de sa trompette, a le secret. C’est un disque à la fois révolutionnaire pour l’époque, et encore pour aujourd’hui, qui se laisse écouter sans effort, en dépit de son aspect profondément novateur.

5- Le digne héritier

Enfin, toujours dans une optique d’offrir au profane une porte d’entrée facile d’accès à ce que le jazz propose, j’ajouterai Misterios (Warner Jazz) de feu mon ami le trompettiste Wallace Roney, paru en 1994. Wallace m’en voudrait sans doute de citer encore ce disque dont il n’était personnellement pas friand. Mais je reste épris de cet album enregistré par lui à la tête d’une grande formation, dans les arrangements somptueux de Gil Goldstein. Wallace y interprète avec vigueur, aplomb et lyrisme des thèmes de Pat Metheny, d’Astor Piazzola, des Beatles et des musiques brésiliennes. En l’écoutant naviguer agilement au-dessus des nappes sonores de l’orchestre, on comprend pourquoi Miles Davis l’avait pris sous son aile et désigné comme son digne héritier.

6- Un pionnier du soul

Au rayon de la musique soul, je vous propose deux classiques absolus. D’abord, Night Beat (RCA) de Sam Cooke, paru en 1963. C’est l’une des œuvres maîtresses de ce pionnier de la musique soul, forme musicale née de la fusion du gospel et du rhythm’n’blues. La voix chaude et envoûtante de Cooke est superbement mise de l’avant sur ce disque de la maturité d’un artiste qui nous a quittés bien trop tôt, assassiné en 1964. Et puis, What’s Going On? de Marvin Gaye, un disque Motown de 1971, l’un des premiers albums concepts du répertoire soul, un disque qui fait écho aux préoccupations sociales et écologistes d’un des artistes les plus emblématiques de l’histoire de la soul. Un critique français a un jour qualifié cet albumde « Kind of Blue de la musique soul ». Une comparaison tout à fait juste, à mon avis.

Auteur de plusieurs ouvrages et chroniques sur le jazz, Stanley Péan anime trois émissions radiophoniques sur ICI Musique : Quand le jazz est là, Soul la nuit et La boîte de jazz. Pour en savoir plus sur son parcours, lisez notre entrevue avec lui, parue dans l’infolettre Virage.

Du jazz, on en mange!

L’été, c’est un véritable buffet pour les afficionados de jazz au Québec!

En entrée :
Le 6e Festival Québec Jazz du 20 au 30 juin 2024.

Le plat principal :
Le 44e Festival International de Jazz de Montréal, du 27 juin au 6 juillet 2024.

Pour le dessert :
Le 17e Festi Jazz Mont-Tremblant, du 31 juillet au 4 août 2024.