Pas facile de commencer une nouvelle vie au tournant de la cinquantaine, surtout quand il y a à la clé un retour sur les bancs d’école afin d’apprendre une langue aussi difficile que le français. Bien des nouveaux arrivants y parviennent, mus par la volonté de s’intégrer à la société québécoise et, ce faisant, de redonner à leur terre d’accueil.
« La plupart de mes élèves sont très motivés. Ils veulent réussir à apprendre le français pour eux-mêmes et aussi pour leurs enfants. Par le biais des cours et des sorties culturelles, je les vois s’épanouir comme des fleurs », explique Brigitte De Souza, professeure de francisation du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), à Granby, dans les Cantons-de-l’Est.
Chaque jour, Mme De Souza, elle-même une immigrante de longue date, se sent utile et riche de la diversité culturelle que procure l’intégration, cette « marche des uns vers les autres ».
Cette marche nous fait voir par-delà les manchettes sensationnalistes qui ne s’attardent qu’au nombre d’immigrants. Elle nous amène à la rencontre des humains derrière ces chiffres, ceux qui ont quitté une réalité inconcevable pour nous, et tout laissé derrière, pour offrir la sécurité à leur famille. Voici les histoires de trois d’entre eux, touchantes à faire fondre les préjugés.
Salvatory
Aller simple du camp de réfugiés à Granby
« Avant d’immigrer au Canada, en 2015, j’étais dans un camp de réfugiés en Tanzanie », explique Salvatory Bujana, natif du Burundi, en Afrique. Depuis quand ? « 1996. » Est-ce une erreur due à son français encore hésitant ? Il trace les chiffres dans l’air avec son doigt : 1-9-9-6. Mais c’est 19 ans, ça ! Inimaginable.
Pendant tout ce temps, il a survécu à des conditions absolument misérables dans ce camp qui a compté jusqu’à 500 000 personnes. Lorsque le camp a été démantelé, il ne pouvait retourner dans son pays. Une entente entre les gouvernements du Canada et de la Tanzanie lui a fait prendre le chemin de Granby, avec sa femme et leurs cinq enfants. Un 6e enfant, né au Québec, s’est ajouté à la famille depuis ce temps.
« Il fait froid au Québec mais ce n’est pas grave car ici, c’est tranquille et la paix règne », dit l’homme de 46 ans. Par cette journée caniculaire, il lèche avec délectation une « crème molle » typiquement québécoise, sa deuxième seulement depuis 2015, son maigre budget ne lui permettant pas de tels luxes.
Il a suivi tous les cours de français offerts par le MIDI. Ce processus s’est avéré pénible et parfois décourageant, surtout au début. « C’était toujours le même problème : je voulais m’exprimer mais je ne savais pas les mots. »
Véritable exemple de résilience, Salvatory poursuit sa formation au Centre Alpha Haute-Yamaska et a hâte au jour où la qualité de son français lui permettra d’entreprendre des études. Il veut devenir préposé aux bénéficiaires, ce qu’il a été pendant trois ans dans le camp de réfugiés. Justement, le Québec connaît une grave pénurie de préposés.
Salvatory s’estime chanceux de vivre au Québec et souhaite y rester pour toujours. Il trouve la grande majorité des Québécois très accueillants et en compte plusieurs parmi ses amis. Il est serein car ses enfants parlent déjà bien français et que sa famille a un toit au-dessus de sa tête. Un obstacle de taille demeure : la pauvreté. « Le chèque d’aide sociale n’est pas suffisant. Je serai vraiment heureux uniquement quand je vais travailler. »
Ivonne
Elle chante déjà l’Ô Canada
Ivonne Fuentes incarne l’intégration. Arrivée au Québec en mars 2017, par un jour de grosse tempête de neige, cette Mexicaine qui ne parlait pas un mot français chante maintenant l’hymne national canadien lors des parties de hockey de l’Inouk du Cégep de Granby !
Chanteuse, danseuse et chorégraphe dans son pays, cette femme de 50 ans en paraît 30 quand elle sourit… et elle sourit toujours ! Malgré sa vie pénible par moments au Québec à en arracher financièrement, malgré la situation avec son époux québécois qu’elle préfère ne pas aborder, malgré sa difficulté à trouver du travail parce que son français n’est pas encore à la hauteur, etc.
Ce sourire radieux vient principalement de la fierté que lui procurent ses deux filles, Ivana, qui entre au Cégep et Dhyana, inscrite au programme international en 5e secondaire. « Les deux ont appris très rapidement le français. Elles ont deux emplois chacune pour payer leurs frais de scolarité et leurs autres dépenses », résume-t-elle dans un français tout à fait convenable.
Vivre au Québec, c’est aussi être beaucoup moins inquiète pour la sécurité de ses filles, car il y a très peu de vols et de violence. Quant aux manifestations de racisme, elles sont très rares. « Une fois, quelqu’un a dit à ma fille que les immigrants volaient les jobs des Québécois. Elle lui a répondu qu’un jour elle serait médecin et qu’elle lui sauverait la vie. »
Ivonne a suivi tous les cours de français du Ministère et la formation préparatoire à l’emploi offerte par Solidarité ethnique régionale de la Yamaska. « Ça demande un gros effort de retourner à l’école. Des journées de sept heures, c’est très fatigant quand on bloque continuellement sur les mots. »
En ce moment, Ivonne continue de vivre modestement, sans aide sociale, avec l’argent de la vente de sa voiture lorsqu’elle a quitté le Mexique pour suivre son mari. « Je dois me trouver du travail, c’est urgent. »
En attendant, elle contribue à sa société d’accueil en faisant du bénévolat à l’hôpital avec ses filles. Elle fréquente aussi l’église et prie pour que cessent un jour ses tracas financiers et qu’elle puisse s’acheter une voiture afin de ne plus geler tout rond en attendant l’autobus l’hiver !
Carlos
De la francisation jusqu’à l’université
Le parcours de vie de Carlos Villamil prend un nouveau tournant en juin 2015, alors qu’il quitte la Colombie et débarque au Canada avec ses deux jeunes enfants dont il a la garde exclusive. Il demande l’asile et est rapidement reconnu comme réfugié. Ce qui lui arrive ensuite n’est pas un conte de fées, plutôt l’histoire inspirante d’une personne qui a retrouvé la capacité de rêver et s’y est accrochée, jusqu’à ce qu’elle le mène à l’université.
Retenu par le travail, Carlos s’est présenté à l’entrevue après le départ des autres ex-élèves. L’été, l’homme de 49 ans additionne les heures pour pouvoir procurer l’essentiel à ses deux amours, Karla Giuliana et Jeremmy Joshua.
Ses enfants de 12 et 10 ans, qui ont vraisemblablement hérité du gène de persévérance de leur père, ont devant eux des possibilités n’ayant aucune mesure avec ce qui les aurait attendus dans leur pays natal. « Les premiers jours, ils étaient surpris de pouvoir laisser leurs fournitures scolaires sur leur pupitre à l’heure du dîner sans se les faire voler ! », raconte Carlos.
« C’est une vraie folie de vouloir devenir ingénieur électrique. Tout ce que j’ai fait depuis mon arrivée à Granby, je l’ai fait pour mes enfants. Sauf ce projet d’obtenir un diplôme universitaire », dit celui qui était technicien en électronique et professeur au primaire, en Colombie.
Pour ce faire, il devait apprendre le français, lui qui n’en parlait pas un mot. « Les cours de français offerts par le gouvernement et basés sur des situations de la vie courante, m’ont permis de progresser assez rapidement. Mes enfants m’ont aussi beaucoup aidé car ils s’exprimaient déjà très bien en français après quelques mois. »
Carlos a obtenu les équivalences lui permettant de s’inscrire à l’université. Mais il restait le difficile test de français que les immigrants doivent réussir pour pouvoir entreprendre des études supérieures. « J’ai lu les livres de préparation et j’ai pratiqué très fort tous les jours », se souvient-il. Test réussi !
Après une première année très exigeante à l’Université de Sherbrooke, qui lui a demandé de hausser son niveau de compréhension du français d’un cran, il vient d’entreprendre sa 2e année de bac. Génial !
Des chiffres et des lettres
Entre le 1er avril 2017 et le 31 mars 2018, 28 086 personnes immigrantes de 16 ans et plus ont suivi des cours de français au Québec, à temps complet, à temps partiel ou en ligne. Le taux de persévérance des élèves en francisation pour les cours à temps complet est de 87,8 % et il est de 72,4 % pour les cours à temps partiel.
Ces cours non obligatoires sont offerts dans 93 endroits à travers le Québec, par 630 professeurs. Il y a aussi des cours de francisation en ligne. Les élèves inscrits à temps complet reçoivent une allocation de participation et une allocation de transport.
Photo : Salvatory Bujana et Ivonne Fuentes entourant leur professeure de français, Brigitte De Souza.
Photo : Bruno Petrozza