
Bien dans sa tête, son cœur et son corps, Joe Bocan exprime une jeunesse et une vitalité enviables. À 67 ans, la chanteuse repousse avec une belle insolence les frontières de l’âge, sans trafiquer ni nier le passage des années. Plus sexy que jamais, elle nous inspire à redéfinir notre regard sur le vieillissement.
C’est dans le décor feutré et baroque du Salon de thé Cardinal, dans un quartier tendance de Montréal, que nous rencontrons Joe Bocan, vêtue d’une somptueuse robe rose parfaitement excentrique. Elle y est pour lancer Insoumise, son plus récent album.
« Actuellement, dans notre société, on redéfinit plein de choses, entre autres l’âge, soutient la chanteuse. Il y a quelque chose de beau dans le fait de pouvoir être une “petite vieille” et chanter… Physiquement, je ne suis pas jeune. Mais dans mon âme, je le suis. »

Photo : Bruno Petrozza
Redéfinir le vieillissement
La pochette de son opus lancé en novembre dernier présente d’ailleurs une Joe renversante, qui assume entièrement son sex-appeal. « Jules Bédard, le photographe qui a réalisé ces photos, a environ 21 ans, dit-elle. Son mandat était de prendre en photo une femme de 67 ans… Au début, j’ai senti une inquiétude. Je voulais juste qu’on s’amuse, qu’on ait du plaisir, et c’est ce qui s’est produit. Ç’a été spontané. Et je n’ai pas voulu qu’on retouche mes photos. »



Joe ose ainsi dévoiler le passage du temps sur son corps. « Au début, je ne voulais pas montrer mes bras, parce que c’est une partie du corps qui se ride rapidement. Le cou aussi. C’est ma fille qui m’a dit : “Mais maman, si tu ne les montres pas, comment on va faire pour aimer nos bras quand on aura ton âge?” Ils ne sont pas parfaits, mais je les montre. Plus jeune, même si je ne m’entraînais pas, j’avais des bras musclés. J’ai beau faire des poids et haltères, je ne retrouverai jamais ces bras-là. C’est la vie… »
Bien malgré elle, par son exemple, Joe dédouane les femmes qui se trouvent trop vieilles ou qui craignent d’assumer leurs envies ou leur excentricité. « Parfois, je me pose des questions. Je me demande si je suis trop vieille pour porter une petite robe courte, mais je me sens bien là-dedans. C’est assez rare qu’on éprouve du dédain à la vue d’une femme de 70 ans ou 90 ans qui est sexy. On trouve ça beau parce que c’est audacieux. »
Au-delà des préjugés
Cette décision de se montrer telle quelle, comme elle l’a fait généreusement pendant notre séance photo, correspond parfaitement à l’idée du vieillissement que se fait la chanteuse.
« J’ai aussi des enfants qui me gardent jeune. Je m’intéresse à ce qu’ils font. Ma fille me propose des livres à lire, mon fils me fait découvrir des artistes en musique, mon autre fils est dans l’agriculture et m’informe sur toutes sortes de sujets. Tous trois me gardent vivante. »
D’ailleurs, son plus récent album a été produit en collaboration avec son fils, Samuel Bocan-Biddle (Yuki Dreams Again), qui a veillé aux arrangements et à la réalisation. Toujours engagée, l’artiste propose des pièces telles que Pour faire lever les fleurs, Bêtes sauvages et Orage d’amour.

Jos Bocan veut déboulonner les préjugés, comme celui qui veut que la soixantaine sonne le glas de la sexualité. Détrompez-vous! « Comme si on n’avait plus droit à cet aspect de la vie… »
Cette envie de s’attaquer aux idées reçues ne date pas d’hier. Rappelons-nous qu’elle avait posé en allaitant pour la couverture du 7 jours. Dans les années 90, ça choquait! « Je ne recevais pas toujours de bons commentaires, mais chaque fois, je répondais que c’était la chose la plus naturelle qui soit. »
Joe n’a jamais cherché à imposer son point de vue. Elle a vécu comme elle l’a souhaité, en marge de ce qu’on pouvait en penser. « Je ne disais pas aux gens quoi faire, nuance-t-elle. C’est mon bonheur que je montrais. Je ne faisais pas les choses pour convaincre qui que ce soit, mais dans un esprit de partage. C’est comme si j’avais affirmé : “Moi, c’est comme ça que je vois la vie et que j’ai envie de la vivre…” Lorsque j’ai laissé le métier pour aller vivre à la campagne avec mes enfants, il y avait plein de préjugés. Les gens me disaient qu’ils ne comprenaient pas ma démarche, parce que j’étais censée être féministe, ce à quoi je répondais qu’une féministe choisit sa vie. Je faisais le choix de m’occuper de mes enfants. Je les aimais, j’avais envie d’être avec eux. Je ne voulais pas travailler pendant qu’ils étaient à la maison à se faire garder. »
L’amour n’a pas d’âge
Puisque chaque période de la vie recèle sa part de cadeaux, Joe évoque ceux que la soixantaine lui offre. « Je pense un petit peu plus à moi qu’avant. Lorsque mes enfants étaient plus jeunes, je n’aurais jamais imaginé une chose pareille. Aujourd’hui, j’aime m’arrêter, prendre du temps pour moi. Quand j’ai eu 60 ans, j’ai commencé à déjeuner en lisant mon journal, à prendre mon temps. Je n’avais jamais fait ça de ma vie! C’est ce que j’aime dans le fait de vieillir : pouvoir flâner, procrastiner, profiter de la vie. Je m’accorde du temps. C’est un cadeau que je me fais. C’est peut-être pour cette raison que je ne me vois pas vieillir… » (rires)
Impossible de laisser filer Joe sans toucher un mot sur son bonheur amoureux auprès de celui qu’elle a rencontré à l’âge de 63 ans… « L’amour, c’était comme une porte presque fermée, confie-t-elle. Je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour. À ceux qui cherchent l’amour, je dis : “N’ayez pas peur de l’ouvrir. De toute façon, vous pouvez la refermer.” Il ne faut pas s’empêcher d’aimer. Vivre, c’est aimer. J’ai l’amour de mes enfants, mais je trouve que vieillir seule, ça peut être difficile, même quand on a beaucoup d’amis. Et l’amour a l’avantage d’offrir une complicité différente. »
Un nouveau souffle
Depuis quelques semaines, la chanteuse remonte sur scène en solo dans le cadre de la tournée Insoumise. Après 40 ans de carrière, plus populaire que jamais, elle s’enthousiasme de ce nouveau souffle. « Je n’aurais jamais imaginé une chose pareille, confie-t-elle. C’est extraordinaire! »
Ce grand retour s’est amorcé en 2020, avec sa participation au spectacle Pour une histoire d’un soir avec Marie Carmen et Marie-Denise Pelletier. La tournée s’est achevée le mois dernier à la Maison Symphonique de la Place des Arts, non sans avoir vendu des dizaines de milliers de billets et raflé le Félix du spectacle de l’année.
« Avant ça, j’estimais que ma carrière était pas mal finie. Je croyais qu’on allait m’appeler de temps en temps, mais je ne m’attendais pas à connaître ce retour. J’ai toujours travaillé, mais jamais aussi intensément que maintenant. »
Les prochaines semaines seront encore intenses, et Joe ne boudera pas son plaisir. Mais elle avoue qu’un bon repos fera le plus grand bien. « Ces quatre dernières années, j’ai été constamment sur la route. J’adore la tournée, mais j’ai aussi un côté très “maison”. J’ai beaucoup de demandes pour des projets, mais je songe à prendre des vacances durant l’été. J’ai envie d’écrire et j’ai surtout envie d’être chez moi. »
Nos remerciements au Salon de thé Cardinal à Montréal qui nous a accueillis pour la séance de photos.
Joe Bocan est en tournée avec Insoumise. On s’informe ici sur les dates de son spectacle. L’album du même nom est disponible sur toutes les plateformes.