Rose-Marie Charest sur le divan

Ses livres, ses interventions radio et ses chroniques télé sont comme des bouffées de gros bon sens dans un monde rythmé par les mauvaises nouvelles et les conflits. Psychologue chouchou des Québécois, Rose-Marie Charest s’apprête à tirer sa révérence après 17 ans à la présidence de son ordre professionnel, pour consacrer cette nouvelle tranche de sa carrière à des projets axés sur ce qui la fascine plus que tout : la communication.

Tout aussi coquette que l’appartement où elle reçoit l’équipe de Virage, Rose-Marie Charest en a long à dire sur chaque sujet que j’aborde avec elle. Appuyés d’élégants gestes des bras et soutenus par un fabuleux regard bleu sagesse, ses propos éclairent les événements et ajoutent de la perspective aux enjeux.

Virage : Quelles sont vos plus grandes réalisations à la présidence de l’Ordre des psychologues du Québec ?

Rose-Marie Charest : « Je suis un leader, une femme de décision. Toutefois, je suis capable et j’ai besoin de recevoir des conseils. Au fil des ans, j’ai su construire une équipe solide autour de moi à la permanence de l’Ordre. Ça me chagrine beaucoup de la quitter.

« Au cœur de ma mission, il y a eu un long combat pour que soit adoptée une loi afin que la psychothérapie soit mieux encadrée et qu’elle ne puisse plus être pratiquée par des charlatans. De plus, je me suis énormément investie pour que les décideurs comprennent combien les gens ont besoin d’avoir accès à un psychologue dans un délai raisonnable. C’est une injustice profonde que parfois il faille avoir de l’argent pour voir un psychologue. Je n’abandonnerai jamais cette bataille-là. On a réglé ça pour la vue, on a réglé ça pour les dents, on devrait rendre les services psychologiques gratuits au moins pour les enfants et les adolescents. Quel gouvernement va avoir le courage de le faire ? »

Virage : Quels sont vos projets ?

R.-M.C. : « De l’écriture et de la sensibilisation, notamment par le biais de conférences dans les milieux de travail. Pour moi, le travail, c’est mettre ses talents et son énergie à la disposition d’un projet collectif. Je veux aider les personnes à se réaliser dans le travail et les employeurs à créer le cadre pour que ce soit possible. Dans ma vie, le travail a été une grande source de bonheur, même s’il n’a pas été la seule. D’ailleurs, j’ai le privilège d’affirmer que j’ai été et que je suis une femme heureuse ! »

Virage : Parlez-nous du « troisième territoire » évoqué dans votre livre Oser le couple, écrit avec Jean-Claude Kaufmann.

R.-M.C. : « Dans le couple comme au travail, le troisième territoire est essentiel. On a chacun notre territoire et dans toute relation, on en crée un troisième. Pour ce faire, on doit accepter les différences, favoriser l’ouverture, communiquer. D’ailleurs, communiquer, c’est d’abord et avant tout apprendre à changer d’idée. »

Virage : Que pensez-vous des jeunes couples qui veulent à la fois mener deux carrières exigeantes et avoir une famille ?

R.-M.C. : « Les femmes de ma génération se sont battues pour avoir le droit de choisir. Mais aujourd’hui, c’est comme si les gens se retrouvent avec davantage d’obligations et moins de choix. Les jeunes couples doivent s’asseoir ensemble et faire des choix pour réussir à conjuguer leur vie professionnelle et leur rôle de parent. L’un des deux peut ralentir pendant quelques années car la petite enfance est si courte. C’est ce que j’ai fait lorsque ma fille était petite et ça n’a pas nui à ma carrière. Dans la vie, il faut choisir son bonheur et pas seulement choisir son succès. »

Virage : Et que dire des gens qui jettent à la poubelle une relation de longue date ?

R.-M.C. : « Trop souvent, quand les gens mettent fin à une relation, ils idéalisent l’après, avec une personne qu’ils n’ont pas encore trouvée. Lorsqu’on prend la décision de se séparer, on prend la décision de se retrouver avec soi-même et non de recréer immédiatement un autre couple dans lequel on s’amènera forcément aussi, avec des facteurs qui ont fait en sorte qu’on a été malheureux dans la relation précédente, qui dépendent de nous et qui ne sont pas réglés. Dans notre société, on remplace trop souvent la durée et la profondeur par la quantité. »

Virage : Selon vous, l’engagement est-il un élément fondamental au bonheur ?

R.-M.C. : « Pour être heureux, on doit s’impliquer non seulement dans notre petit cercle personnel, mais aussi dans les cercles qui nous entourent. Ça peut être le conseil d’administration de notre condo, un comité de citoyens, etc. Il faut être partie prenante des décisions qui influencent notre vie. »

Virage : Quels sont les défis auxquels sont confrontés plus particulièrement les 50+ ?

R.-M.C. : « Il y en a plusieurs. D’abord, l’immense valorisation de la jeunesse dans notre société, qui fait qu’on cherche à tout prix à avoir l’air jeune, qu’on se sent parfois déprécié au travail par notre moins bonne maîtrise des nouveaux outils de communication et qu’on valorise surtout des aspects passés de notre existence, alors que l’espérance de vie, elle, s’est allongée.

« Un autre piège est l’illusion d’avoir le contrôle sur sa vie. La réalité c’est que pendant une partie de notre vie, nos capacités physiques et psychiques vont augmenter et qu’après, elles vont diminuer. Au même titre que l’exercice de la liberté rend heureux, la capacité de faire des deuils et d’accepter certaines pertes rend heureux.

« Il faut s’attarder plus à ce qui nous reste qu’à ce qu’on perd. Et si la famille élargie est moins centrale pour les gens de notre génération, il existe d’autres réseaux, basés entre autres sur l’amitié. Par exemple, je caresse le rêve qu’on se parte un jour notre petit centre d’accueil, juste pour notre gang d’amis ! »

Photo : Bruno Petrozza – Maquillage : Véronique Prud’homme