La faim justifie l’entraide

Il est grand temps d’enlever nos lunettes roses et nos œillères de scepticisme : dans une société d’abondance comme le Québec, 400 000 personnes chaque mois ont recours à une forme d’aide alimentaire pour se nourrir. Heureusement, Moisson Montréal et les autres banques alimentaires dans la province font des miracles pour répondre à la demande croissante, armées d’entraide jusqu’aux dents.

Le mot « miracles » n’est pas trop fort ici puisque par exemple, avec un budget de 5,5 millions en 2016, Moisson Montréal a réussi à distribuer des denrées alimentaires d’une valeur de 81,5 millions ! Il faut également prendre en considération les coûts sociaux et de santé évités en faisant taire les estomacs et en offrant une aide sans jugement à des personnes dans le besoin.

Moisson : un portrait changeant

Moisson Montréal est la plus importante de la trentaine de Moisson et Associé répartis à travers la province. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas directement aux portes de ces banques alimentaires que les personnes dans le besoin cognent pour recevoir un panier de provisions ou un repas.

Chaque Moisson est en effet un grossiste alimentaire communautaire voué à l’entraide alimentaire, qui sollicite des dons en denrées, les ramasse, les rend propres à la distribution et les achemine à des organismes communautaires locaux qui font la lutte à la pauvreté. Au Québec, plus de 1000 organismes – refuges, popotes roulantes, maisons de jeunes, centres de dépannage alimentaire ou autres – reçoivent des denrées des Moisson.

« Avant, la clientèle des banques alimentaires était essentiellement composée d’itinérants et de bénéficiaires de l’aide sociale. Aujourd’hui, de plus en plus de gens qui travaillent y ont recours parce que leur salaire ne leur permet pas de subvenir aux besoins de leur famille. Autre tendance lourde : le nombre croissant de retraités dont les revenus de pension sont insuffisants pour couvrir le logement et la nourriture. D’ailleurs, environ 10 % des personnes aidées par Moisson Montréal ont 65 ans et plus et 20 % ont entre 45 et 64 ans », indique Richard D. Daneau, directeur général de Moisson Montréal.

Selon lui, il est important de sensibiliser la population au problème de plus en plus aigu de la précarité alimentaire et au bien-fondé à la fois des banques alimentaires et des organismes communautaires qui offrent un pont aux personnes dans le besoin, en leur fournissant nourriture, services et réconfort.

« Les gens croient que ça n’arrive qu’aux autres. J’ai en tête l’exemple d’une dame d’une soixantaine d’années qui, après avoir perdu son mari, s’est retrouvée dans le trouble jusqu’aux oreilles parce qu’elle ne s’est pas occupée de ses affaires correctement puisque c’est son mari qui jusque-là avait géré la paperasse. Elle s’est tournée vers le centre de dépannage alimentaire de son quartier le temps de retomber sur ses pattes. Aujourd’hui, elle a retrouvé son autonomie », raconte M. Daneau.

Jamais sans bénévolat… ni dons

À Moisson Montréal, la tâche colossale que représente la réception de la marchandise acheminées par plus de 300 fournisseurs et le tri de quelque 14,2 millions de kilos de denrées alimentaires annuellement a lieu dans un entrepôt de 107 000 pieds carrés, situé dans l’arrondissement Saint-Laurent. La moitié des mains à l’ouvrage sont celles de bénévoles. Les salaires ainsi épargnés permettent de maximiser l’impact social des banques alimentaires.

Aux 50 employés de Moisson Montréal se joignent donc tous les jours entre 50 et 60 bénévoles, le quart de l’effectif étant des retraités qui donnent quelques heures ponctuellement ou encore sur une base régulière.

Aussi, on le devine, si les dons de denrées alimentaires sont essentiels, les espèces sonnantes et trébuchantes le sont tout autant, notamment pour gérer l’entrepôt. À Moisson Montréal, plus de la moitié des donateurs ont 45 ans et plus.

Nourrir sans gaspiller ni polluer

Par ailleurs, les dizaines de millions de kilos de denrées périssables traités au Québec chaque année par les Moisson réduisent significativement le gaspillage alimentaire, les matières envoyées à l’enfouissement et la production de gaz à effet de serre. « On oublie souvent l’impact environnemental faramineux des banques alimentaires », souligne le directeur général de Moisson Montréal.

En somme, d’ici à ce que les décideurs politiques proposent des solutions à long terme à la pauvreté, les banques alimentaires sont plus qu’utiles, elles sont indispensables.

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Doubles dons

Marielle St-Amour et Daniel Handfield ne se connaissent pas mais ont une chose en commun. Les deux retraités portent Moisson Montréal dans leur cœur, au point de l’appuyer de deux façons plutôt qu’une : par des dons en argent et en temps.

Sensibilisée à la cause il y a plus d’une décennie par la Guignolée des médias, Marielle St-Amour donne quelques centaines de dollars par année à Moisson Montréal. « Ça m’enrage de savoir qu’à Montréal, des enfants ont faim, car ça bâtit une société boiteuse », confie-t-elle.

Arrivée à la retraite, il y a quatre ans, il était tout naturel pour cette ex-conseillère linguistique à l’Université de Montréal d’ajouter une corde à son aide en devenant également bénévole à Moisson Montréal, non loin de chez elle, tous les lundis.

Pour sa part, Daniel Handfield fait une demi-journée de bénévolat à Moisson Montréal, tous les vendredis, depuis cinq ans. Il enfile manteau et gants, puis trie des viandes congelées pendant quelques heures. Ce travail de manutention le change de son autre bénévolat, l’aide aux devoirs.

« Moisson Montréal, j’y crois. En tant qu’ex-ingénieur industriel, j’ai toujours admiré son efficience, ce qui m’incitait à contribuer financièrement à la cause bien avant de devenir bénévole. C’est pour moi une façon d’occuper mon temps intelligemment. Et ça donne un sens à ma retraite car je me sens utile à quelque chose », résume le bénévole et donateur.

Photo : Bruno Petrozza