Croisière polaire

Nous étions à la fin d’août et nous naviguions en provenance de Red Bay, Labrador, dans le détroit de Belle-Isle en direction de Terre-Neuve. À la droite du navire, deux baleines à bosse batifolaient dans l’eau alors que sur notre gauche, un iceberg bleuté dérivait dans la belle lumière d’une fin d’après-midi. L’émotion était telle que je me suis mise à rêver à une expédition qui me mènerait plus loin… jusqu’à l’extrémité du Labrador.

Le Groenland, point de départ

En septembre dernier, j’ai réalisé mon rêve en prenant part à une croisière organisée par Adventure Canada, une compagnie canadienne spécialisée dans les régions polaires. Partie de Toronto, en avion, je suis arrivée à Kangerlussuaq, au nord du cercle polaire arctique, sur la côte ouest du Groenland, où m’attendait le Sea Adventurer, un navire d’une capacité de 118 passagers. Pendant 13 jours, nous avons navigué dans les eaux froides de la mer du Groenland et de la mer du Labrador jusqu’à Saint-Jean, capitale de Terre-Neuve. Un périple de 3780 km, au cœur d’un paysage austère, désertique, mais d’une grandiose beauté. Loin, très loin, de tout.

À peine embarquée sur le navire, je voudrais avoir des yeux tout le tour de la tête pour admirer ces fjords majestueux, ces glaciers, ces rochers couverts de mousse et de lichens, ces hauts sommets enneigés, cette eau si verte… Je me sens petite au cœur de cette nature imposante et je pense aux Vikings, aux chasseurs de baleines et à tous ces explorateurs européens venus conquérir au péril de leur vie cette terre de glace et de solitude qu’est le Groenland.

Nous faisons un arrêt à Nuuk, la capitale, où vivent 16 000 habitants (Inuits et Danois), soit le quart de la population du Groenland. La plus belle partie de la ville demeure le quartier historique au bord de la mer, avec ses jolies maisons colorées, sa petite église et son musée.

L’avenue des icebergs

Pour atteindre le Labrador, nous traversons le détroit de Davis, vaste étendue d’eau entre le Groenland et la terre de Baffin, qui compte jusqu’à 950 km à son point le plus large. Vers le sud, le détroit est traversé par le courant froid du Labrador. Né dans l’océan Arctique, il est une « avenue d’icebergs », comme l’appellent les marins. Au printemps et en été, des milliers d’icebergs qui se détachent des glaciers du Groenland dérivent le long des côtes pour disparaître, la plupart au large de Terre-Neuve. C’est l’un de ces icebergs qui coula le Titanic en 1912. Comme nous sommes au début de septembre, la présence d’icebergs est plus rare, m’explique le capitaine Santiago.

J’ai aussi la chance de voir de nombreuses baleines fendre l’eau avec puissance et d’observer plusieurs colonies d’oiseaux marins.

Notre navire rejoint le Nunavik. Nous naviguons dans la baie d’Ungava, jusqu’à George River, une communauté inuite de 900 habitants qui vit de chasse et de pêche. Le Sea Adventurer est le seul navire à s’être arrêté à George River cette année. Imaginez les yeux des enfants en voyant s’échouer sur la grève les bateaux pneumatiques remplis de visiteurs et d’instruments de musique !

« Dans tous les villages que nous visitons, nous amenons des musiciens, car la musique est un langage universel », me dit Cedar Swan, vice-présidente de la compagnie Adventure Canada. Dans la salle communautaire, nous avons droit à un concert de musique traditionnelle offert par un musicien terre-neuvien, ainsi qu’à des chants et danses inuits présentés par des artistes locaux.

Puis, nous remontons à l’extrémité nord du Nunavik et du Labrador. Notre arrivée dans les monts Torngat est saisissante. Il fait un vent à écorner un troupeau de bœufs musqués. Et les montagnes de roc qui entourent le navire sont terrifiantes. Elles sont les plus hautes au Canada, à l’est des Rocheuses.

Torngat et un mot Inuktitut signifiant « habité par les esprits ». Les forts vents qui s’engouffrent de partout et l’affligeante désolation qui règne sur ce territoire de toundra me font croire que les esprits y demeurent toujours. Cette chaîne des Torngat, qui s’étend sur 9700 km2 au nord du Labrador, a été façonnée par la dérive des continents et par la glace. La côte est rugueuse, les fjords sont profonds et les vallées sont stériles, car aucun arbre n’y pousse.

Ours polaire à tribord !

Lorsque le capitaine annonce un ours polaire à la droite du navire, nous sautons dans les bateaux pneumatiques afin d’observer cette magnifique bête qui se balade le long du rivage. « Une importante population d’ours polaires vit ici, affirme Derrick Pottle, qui nous sert de guide chaque fois que nous partons en randonnée sur le terrain. Surtout, ne partez jamais seul sur le territoire. »

Les Inuits viennent dans les Torngat pour pêcher et chasser mais ne vivent pas sur ce territoire constitué en parc national depuis 2008. Plusieurs sites archéologiques témoignent de présences humaines remontant à 7000 ans. Nous pénétrons dans le fjord Saglek, qu’un glacier a sculpté en s’avançant loin à l’intérieur des terres. William Fitzhugh, l’anthropologue qui nous accompagne, nous montre des clôtures de pierres pour caribous, des pièges à renards, des lieux d’inhumation, des caches de nourriture…

Puis, nous nous arrêtons à Hébron, l’une des huit missions fondées par les missionnaires moraves sur la côte du Labrador, entre 1771 et 1904. Ce village est abandonné depuis 1959.

Aucune route ne relie les villages qui s’égrènent le long de la côte du Labrador. Nous passons ainsi devant les communautés de Nain et Hopedale. Puis, le paysage s’adoucit à mesure que nous naviguons vers le sud. Les montagnes deviennent collines, les rochers font place aux épinettes et nous observons des caribous sur le rivage. Nous débarquons à Makkovik, un village fondé par un Norvégien venu y établir un poste de traite en 1860 et dont les 360 habitants sont descendants d’Inuits et de Norvégiens. Les membres d’équipage d’Adventure Canada offrent des équipements de hockey aux jeunes de la communauté, un montant de 250 $ par passager étant retenu pour soutenir divers projets destinés aux jeunes des communautés locales.

Puis, nous filons à Cartwright, fondé en 1775 par un marin et commerçant de fourrures anglais. Cartwright n’est pas aussi isolé que les autres villages du Labrador, car il est relié depuis peu à Blanc-Sablon au Québec par une route de gravier d’environ 400 km.

Macareux moines, canards eiders…

En remontant sur le navire, nous voyons des milliers d’oiseaux survoler les îles Gannet, l’une des nombreuses réserves écologiques qui jalonnent la côte du Labrador. Une population d’au moins 35 000 macareux moines, ces petits pingouins en smoking, habitent ces îles. À quelques kilomètres plus loin, se trouve la plus grande colonie de canards eiders du Labrador.

Nous naviguons jusqu’à l’extrémité nord de Terre-Neuve, où se trouve L’Anse aux Meadows, site qui a été habité par les Vikings, 500 ans avant le passage de Christophe Colomb. Ce site viking, le plus important en Amérique du Nord, est aujourd’hui reconnu par l’UNESCO.

Nous faisons un dernier arrêt à Conche, où vivent 225 habitants de descendance irlandaise. Nous participons à un kitchen party avec musique irlandaise et repas de dinde. Puis, nous rentrons au petit matin dans le port de Saint-Jean, où prend fin ce si beau voyage…

Bon à savoir

  • Adventure Canadaoffre de 8 à 12 croisières par saison, dans différentes régions polaires.
  • Toutes ces croisières se font en anglais, mais en 2014, on offrira deux croisières bilingues, l’une dans l’Arctique et l’autre dans le passage du Nord-Ouest.
  • adventurecanada.com, 1 800 363-7566

 

Photo : Sylvie Ruel