Chloé Sainte-Marie : aidante  un jour…

Pendant 17 ans, elle a incarné le combat des proches aidants pour un soutien adéquat, autant pour leurs proches que pour eux-mêmes. Aujourd’hui, plus de trois ans après le décès de son cher Gilles, elle se déclare aidante pour toujours, cette cause étant devenue une raison de survivre au départ
de l’homme de sa vie, dont l’âme est quasi palpable dès qu’on met le pied à la Maison Gilles-Carle Brome-Missisquoi.

« Ici, je me sens chez moi. Je ressens un profond bonheur car la Maison est la concrétisation de mon rêve et de celui de Gilles : offrir du répit à des proches aidants, ce dont j’aurais tellement eu besoin quand je prenais soin de Gilles. Maintenant, je rêve à des maisons comme celle-ci partout où il y a des besoins. D’ailleurs, un projet a démarré à Montréal, pour une ouverture d’ici deux ans environ. »

La Maison du répit

Située à Cowansville, la Maison Gilles-Carle Brome-Missisquoi est une histoire à succès qui ne manquera pas de faire école. Après le décès du réputé cinéaste, Chloé a décidé d’abandonner le projet de maison d’hébergement imaginé par Gilles et elle à Saint-Paul-d’Abbotsford et de repartir à neuf en axant l’offre de services sur du répit à court terme. Le Regroupement soutien aux aidants de Brome-Missisquoi ( RSABM ) s’est ensuite associé à la Fondation Maison Gilles-Carle.

La détermination de Veerle Beljaars, directrice générale du RSABM, n’est pas étrangère au dénouement heureux et rapide de cette histoire, tout comme une subvention significative du gouvernement provincial et la générosité de l’entrepreneur Daniel Bélanger, maître d’œuvre des travaux de construction de cette maison, bâtie sur un terrain donné par lui et au prix coûtant, grâce à de nombreux dons et rabais accordés par des individus, entreprises et institutions de la région.

Depuis mai dernier, quatre chambres permettent des séjours de 2 à 14 jours, moyennant des frais minimes. Il y a aussi du répit de jour et de soir. Les aidants viennent y conduire leur proche, puis profitent d’un temps de repos réparateur. On y accueille des aînés bien sûr, mais aussi des plus jeunes. Des gens atteints de maladie mentale, de la maladie d’Alzheimer, de la maladie de Parkinson, etc. « Ici, il n’y a pas de ghetto de maladie ni d’âge », précise Cholé.

« Il y a d’autres maisons de répit pour proches aidants à travers la province, mais la Maison Gilles-Carle est unique parce qu’elle est familiale. De plus, la Maison a une vocation artistique et culturelle. Pour Gilles et moi, ça allait de soi : prendre soin de personnes malades, c’est aussi prendre soin de leur esprit. D’ailleurs, des spectacles intimes ont lieu régulièrement à la Maison », raconte fièrement Chloé Sainte-Marie.

L’ambiance de la Maison est en effet empreinte d’amour, de compassion et de joie de vivre. Rien à voir avec la morosité de certains « foyers » pour personnes âgées. « Ici, c’est Noël tous les jours », résume justement Lynda Blair, bénévole.

Amoureuse un jour…

Aidante naturelle de la cause des proches aidants, Chloé Sainte-Marie y contribue d’une autre manière depuis que la maladie de Parkinson a emporté le grand artiste qu’était Gilles Carle. Elle organise des campagnes de financement afin que la Fondation Maison Gilles-Carle puisse continuer de soutenir des projets de maisons d’hébergement pour personnes en perte d’autonomie permettant un répit aux proches aidants. Par exemple, elle présentera un spectacle-bénéfice à la salle Maisonneuve de la Place des Arts, le 23 avril ( billets : 250 $ chacun, au 514-722-0838 ). On peut aussi donner en tout temps au www.fondationmaisongillescarle.org

Aidante un jour, aidante toujours, donc. Amoureuse un jour, amoureuse toujours est tout aussi vrai. « Je crois en la notion indienne que le corps meurt mais que l’esprit ne meurt jamais. Alors, je parle à Gilles tous les jours, je lui demande son aide, je lui dis que je m’ennuie de lui. Je suis peut-être folle, mais je l’assume complètement », dit celle qui entrera en studio en septembre pour l’enregistrement de son prochain album.

Et comment vit-elle son entrée récente dans le club des cinquantenaires ? « Ce n’est pas l’âge qui importe, c’est la santé », laisse-t-elle tomber, avant qu’un nuage ne s’accroche dans ses yeux bleu de ciel.

Proches aidants : le portrait

Tout comme Chloé Sainte-Marie l’a été pendant 17 ans, une personne sur sept au Québec est un proche aidant, dont 300 000 auprès d’un aîné. Selon le gouvernement provincial, l’implication des proches aidants dans le système de santé et de services sociaux représenterait près de 5 milliards de dollars par année.

Les proches aidants d’aînés sont des femmes dans 80 % des cas et leur âge moyen est 65 ans. Ces statistiques officielles datent de 2006 et, depuis ce temps, le pourcentage d’hommes serait en croissance.

Mais qu’est-ce au juste qu’un proche aidant ? Les définitions varient sans jamais préciser un nombre d’heures par semaine d’aide ou certaines tâches précises effectuées. Les proches aidants ont toutefois une réalité commune.

« Ce sont des gens qui voient leur vie bousculée parce qu’ils sont solidaires auprès d’un proche qui a une situation de santé fragile sur une longue durée. Cet accompagnement a des aspects positifs mais perturbe leur vie dans le sensible, notamment par la souffrance qu’il leur fait vivre : souffrance de ce qui arrive à l’autre, de leur emprise limitée sur la maladie et des inconvénients que la situation engendre sur leur propre vie », résume Mario Tardif, secrétaire du Regroupement des aidants naturels du Québec ( RANQ ). Donc, pas besoin d’être au chevet d’un être cher 24 h sur 24 pour porter le qualificatif d’aidant… et pour subir les contrecoups de cet engagement.

En effet, bien des aidants naturels sont en piteux état, plus d’un sur trois présentant un niveau de détresse élevé. L’épuisement les guette, eux qui, souvent, ne savent plus où trouver les heures entre ce rôle très exigeant, leurs obligations familiales et leur travail. C’est sans compter les tracas financiers souvent liés à leur situation, leur isolement et cet incessant sentiment de culpabilité qui les ronge et envenime leurs nuits déjà écourtées par le poids de leurs multiples tâches.

Du soutien sur mesure

Quand un proche aidant tombe au front, deux personnes doivent ensuite être soutenues par le système, ce qui entraîne des coûts humains et sociaux énormes. Et quand un aidant est à bout, tout son entourage s’en ressent, à commencer par le proche lui-même.

Il y a donc lieu de travailler en amont du problème, à la prévention. Il est vrai que toutes les villes n’ont pas la chance, comme Cowansville, d’abriter une Maison Gilles-Carle. Cependant, des services de répit sont disponibles un peu partout, au gré d’une liste d’attente plus ou moins longue. Les proches aidants peuvent aussi cogner à différentes portes pour que des soins soient donnés à domicile à leur proche : le bain, par exemple.

Et puis, des associations organisent des groupes de soutien, qui permettent aux proches aidants de se retrouver entre pairs, ainsi que différents ateliers visant à s’informer sur la maladie de leur proche, à gérer leur stress, à prévenir l’épuisement et à prendre conscience de leurs limites. Selon les endroits, il y a aussi des cafés-rencontres, des visionnements de films, ainsi que des activités ponctuelles visant le mieux-être : yoga, art-thérapie, respiration consciente, bricolage, etc.

Mario Tardif, secrétaire du RANQ, remarque que bien des aidants ne connaissent même pas l’existence de ressources qui peuvent faire une différence, pour eux-mêmes ou la personne dont ils sont solidaires : services, soutien, répit, crédits d’impôt, etc. « C’est le devoir numéro un de tout citoyen de s’informer afin de connaître les solutions qui s’offrent à lui », conclut-il.